Leitfaden Tschad : Histoire

C'est le lac Tchad qui a donné son nom au pays et à l'Etat. Longtemps recouvert par les eaux paléotchadiennes, le pays s'est peuplé au fur et à mesure de l'assèchement progressif de ce qui est devenu de nos jours le lac Tchad.

Au cours des premiers siècles de notre ère, de vastes royaumes se constituent. Ils s'épanouiront avec le développement du commerce transsaharien. Cependant, les rivalités continuelles entre ces puissances vont concourir à leur affaiblissement. Le négrier Rabah, la confrérie sénoussiste ainsi que les Européens sauront en tirer parti. La conquête du pays par la France se fait par les armes, mais la colonie restera l'une des plus pauvres, n'intéressant ensuite que peu la métropole à cause de son climat aride. Toutefois, sa participation active à la Seconde Guerre mondiale sera la première marche qui conduira le pays à l'indépendance.

Mais l'instauration de divers régimes dictatoriaux fera naître des foyers de résistance armée dans les trois-quarts Nord-Est du pays. Ceux qui attendaient de l'indépendance la fin du joug étranger n'auront en fait connu que la guerre, la terreur et la répression. Néanmoins, un très léger vent de démocratie souffle aujourd'hui sur le Tchad.

PÉRIODE PRÉHISTORIQUE

Le Tchad est encore loin de nous avoir livré tous ses trésors paléontologiques, car ses vastes plaines sableuses, dans lesquelles dorment sûrement encore de nombreux fossiles, n'ont été que peu étudiées.

Quelques rappels préhistoriques...

La " préhistoire " correspond à toute la période précédant l'ère quaternaire, c'est-à-dire notre ère.

Le précambrien correspond à la toute première période de l'histoire de la Terre. Il a duré plus de 4 milliards d'années, au cours desquelles l'oxygène atmosphérique est progressivement apparu, les premiers organismes monocellulaires sont nés, puis les premiers invertébrés.

L'ère primaire fait suite au précambrien et s'étale de -540 millions à -245 millions d'années. Six périodes se succèdent : le cambrien, l'ordovicien, le silurien, le dévonien, le carbonifère et le permien.

L'ère secondaire s'échelonne de -245 millions à -65 millions d'années, en trois périodes : le trias, le jurassique et le crétacé. L'ère secondaire voit le passage des cryptogames (plantes dont les organes sexuels sont cachés, sans fleurs ni fruits, comme les fougères et les champignons) aux gymnospermes (plantes dont les graines sont nues, comme le pin, le cèdre...), puis aux angiospermes (plantes aux graines enfermées dans des cavités closes, les fruits). D'autre part, c'est la grande période de la sédimentation, des ammonites (essentiellement pendant le jurassique) et des dinosaures. Enfin, les oiseaux et les mammifères apparaissent.

L'ère tertiaire, qui s'étend de -65 millions à -2,6 millions d'années, voit les mammifères se diversifier et l'homme naître.

Enfin, l'ère quaternaire, qui fait suite à la précédente et ne s'est pas encore achevée, est caractérisée par des glaciations (au pléistocène) et l'évolution de l'homme, surtout au cours de l'holocène (-10 000 ans), période postglaciaire actuelle.

Selon les connaissances actuelles, c'est en Afrique, entre 8 millions et 6 millions d'années avant notre ère, que les lointains ancêtres de l'homme se séparent des ancêtres des gorilles puis de ceux des chimpanzés.

Les premiers fossiles sont découverts en 1925 en Afrique du Sud et sont attribués à un hominidé appelé australopithèque (-4,5 à -1 millions d'années). Depuis, huit espèces ont été identifiées en Ethiopie, au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, qui ont toutes en commun le fait d'être bipèdes et omnivores, mangeant des fruits, des graines et les restes d'animaux morts.

Lucy, découverte en 1974 dans la région de l'Afar en Ethiopie, est la plus célèbre et la plus riche en nombre d'os fossilisés.

On entend par hominoïde un primate supérieur dépourvu de queue, tel que le gibbon, l'orang-outang, le gorille, le chimpanzé ainsi que l'homme actuel et ses ancêtres fossiles les plus proches. Un hominidé est un mammifère primate tel que l'homme actuel et les espèces fossiles les plus voisines ; les hominidés forment une famille du groupe des hominoïdes.

L'homme est un mammifère de l'ordre des primates, doué d'intelligence et d'un langage articulé, caractérisé par un cerveau volumineux, des mains préhensiles et la station verticale. Les étapes de son évolution sont marquées par l'accroissement de sa capacité crânienne, le recul du trou occipital, la réduction de la mandibule et l'adaptation croissante à la bipédie. Après l'australopithèque, on distingue les espèces du genre Homo : Homo habilis (-2,6 millions d'années), Homo erectus (-1,5 million d'années) et Homo sapiens (-200 000 ans) avec ses deux sous-espèces Homo sapiens neanderthalensis (de -200 000 à -28 000 ans) et Homo sapiens sapiens.

L'origine de la bipédie est située vers 7 millions d'années ; la maîtrise du feu, vers 400 000 ans.

D'après Pages d'histoire naturelle de la terre tchadienne, CNAR, CAFE, 1996.

Du primaire au quaternaire

Les plus anciennes traces de vie primitive ont été retrouvées dans les grès de l'ordovicien et du dévonien (périodes de l'ère primaire) du Borkou, du Tibesti et de l'Ennedi. Elles ont donc entre 570 et 300 millions d'années. Il s'agit d'empreintes des premières formes de vie organisées sur Terre.

A la fin du secondaire, le Tchad était recouvert par d'immenses lacs bordés de forêts tropicales abritant les ancêtres des conifères, des cyprès et des araucarias, avec des sous-bois de fougères arborescentes. De nombreux bois fossiles ont été retrouvés dans la région de Pala datant de 65 à 95 millions d'années. Il s'agit de troncs sans racines, n'ayant donc pas poussé là, mais ayant été charriés probablement par d'anciens cours d'eau. Il existe aussi d'autres bois pétrifiés plus récents dans les falaises de l'Angamma et dans le Bahr el-Ghazal. Des dinosaures peuplaient ces forêts, même si leurs traces n'ont pas encore été découvertes au Tchad. Leur existence a en effet déjà été attestée au Cameroun, pays limitrophe, ainsi qu'au Niger, dans le bassin de la Bénoué.

Il y a 95 millions d'années, les lacs ont commencé à se combler lentement, et autour de 65 millions d'années, les dinosaures ont disparu sous l'impact d'énormes météorites ou (et) d'un important volcanisme (selon la théorie en vigueur sur la disparition des grands sauriens).

Deux impacts de météorites de 14 km de diamètre ont d'ailleurs été découverts en 1994 et en 1995 : à Ngwéni-Fada, à 30 km au nord-est de Fada, et à Aorounga, entre Faya et Gowo, où l'on peut encore voir par avion les traces de l'onde de choc.

A partir de 8 millions d'années, on assiste à une élévation progressive des plateaux de l'Afrique orientale, entraînant un assèchement du climat, un abaissement de la température et faisant ainsi disparaître les forêts équatoriales qui constituaient un lieu de vie facile pour les grands singes. Un nouvel environnement de savanes, milieu plus ouvert et donc plus dangereux, a sélectionné les hominoïdes et a fait naître les australopithèques, les premiers préhumains, vers 4,5 millions d'années avant notre ère. Ils pesaient environ de 40 kg à 50 kg et mesuraient de 1 m à 1,30 m.

Les premières traces de préhominiens ont été trouvées en mars 1961 par Yves Coppens dans l'Angamma (ouest du Borkou). Il s'agissait d'un fragment de crâne.

Le 23 janvier 1995, l'équipe du professeur Brunet de la mission paléoanthropologique franco-tchadienne mettait au jour, à l'est de Koro Toro, des fragments de la mâchoire d'un australopithèque que l'on a appelé Abel. La découverte d'un australopithèque en Afrique centrale venait complètement bouleverser les théories admises jusqu'alors, qui cantonnaient le berceau de la civilisation à la vallée du Rift et à l'Afrique australe.

Abel a été reconnu en mai 1996 comme une neuvième espèce d'australopithèque, (Australopithecus bahrelghazali de la vallée du Bahr el-Ghazal), avec une face moins prognathe que ses confrères et consoeurs ainsi que des particularités dans sa symphyse maxillaire et ses dents.

Le 19 juillet 2001, la mission paléoanthropologique franco-tchadienne du professeur Brunet découvre dans le désert du Djourab au Nord du Tchad le crâne d'un nouvel hominidé âgé de 6 à 7 millions d'années, soit deux fois plus vieux que Lucy ! Son nom Toumaï (" espoir de vie ", en langue gorane) est celui donné dans le désert du Djourab aux enfants qui naissent juste avant la saison sèche. C'est aussi le surnom attribué au crâne de Sahelanthropus tchadensis.

De nombreux fossiles d'animaux ont aussi été découverts dans les environs : girafes, éléphants, crocodiles, bovidés, suidés et poissons, identiques à ceux trouvés autour de Lucy en Ethiopie (datant de 3 à 4 millions d'années). Aussi estime-t-on que la région était recouverte de prairies de graminées et de forêts bordant des lacs.

Période néolithique

Il y a environ 100 000 ans apparaît une étonnante mutation : l'homme enterre ses morts pour la première fois ! Dans la foulée, il va inventer la religion, le langage, l'art pariétal (peintures ou gravures sur parois) qui se manifeste il y a 32 000 ans (grotte Chauvet en France). Cependant, il faut encore attendre 25 millénaires, il y a 8 000 ans, avant que ne se manifestent les premiers indices de la révolution du néolithique dont notre monde est issu : l'agriculture, la sédentarisation, la civilisation.

On retrouve au Tchad de nombreux vestiges de cette période : meules dormantes (meules en pierre pour piler le grain, encore utilisées), pointes de flèche, hameçons en os, pierres de foudre (petites haches), céramiques... Les plus anciens fragments de céramique sont datés de 5 230 avant J.-C ; ils ont été trouvés à Délébo dans l'Ennedi. Dans le Tibesti, on a retrouvé de nombreuses sépultures en pierres, les plus anciennes remontant à 4 900 avant J.-C.

D'autre part, de curieux cercles de mégalithes, comportant des alignements de pierres par groupes de neuf sur trois rangs, ont été découverts dans le site de Mokto, à 25 km au sud-est de Sherda, à la lisière ouest du Tibesti.

Enfin, le désert tchadien recèle des trésors d'art rupestre, avec des centaines de sites de gravures ou de peintures, disséminés dans des grottes ou des falaises dans l'Ennedi ou le Tibesti.

On distingue plusieurs périodes allant de l'art archaïque, caractérisé par des dessins de faune sauvage, à l'art pastoral bovin. Le boeuf apparaît au Tibesti vers 3 000 av. J.-C. et vers 750 av. J.-C. au sud du lac Tchad.

Âge du fer

Avec le retrait des eaux paléotchadiennes, on voit apparaître de nombreux forgerons dans le Djourab, qui profitent des gisements de minerai découverts. Ce sont les Haddad, qui fabriquent des armes, des couteaux de jet, des harpons, instituant un embryon d'économie de troc avec les tribus qui ne possèdent pas le fer.

Parallèlement apparaissent les chevaux et les dromadaires, introduits par le désert soudano-nilotique vers 2 000 av. J.-C. Les dromadaires sont au Tchad de type méhari, fins et hauts sur pattes (par opposition au type maghrébin). On les retrouve sur les peintures rupestres, montés par des cavaliers qui ont les mêmes selles à deux fourches qu'aujourd'hui, les bassour soudanais.

LES SAO

C'est le premier peuple que l'on puisse nommer au Tchad. Venus de la vallée du Nil, les Sao étaient légendaires pour leur grande taille. La tradition populaire rapporte que c'étaient des géants, capables d'arracher un arbre d'une seule main. En fait, les nombreux ossements retrouvés dans de grandes urnes de terre cuite, où ils sont repliés en position foetale, suggèrent qu'ils étaient des hommes de taille ordinaire...

Cette civilisation de l'eau vivait de pêche, de chasse et d'agriculture autour du lac Tchad. La céramique sao apparaît vers 1 000 av. J.-C., associée à des objets en os ou en pierre. Les Sao sont surtout connus pour leurs poteries avec de nombreuses figurines animales stylisées, dont les génies des eaux auxquels leur peuple devait vie et subsistance.

Ils sont également réputés pour leurs bronzes, qu'ils réalisaient à la méthode de la cire perdue. Leurs villages, fortifiés de murailles en terre, étaient sis sur des tertres. La société sao était très hiérarchisée.

Les Sao ont progressivement disparu au cours du Ier millénaire de notre ère, absorbés par leur puissant voisin : le royaume du Kanem-Bornou.

Les Kotoko et les Kanouri, vivant actuellement sur les rives du Chari et du Logone, considèrent les Sao comme leurs ancêtres.

GRANDS ROYAUMES SAHÉLIENS

Les deux tiers nord du Tchad actuel ont vu s'installer trois grands royaumes musulmans très organisés et hiérarchisés, tirant leurs richesses du commerce des esclaves par les caravanes transsahariennes.

A la même époque, dans le sud du pays, de petits groupes vivaient plus ou moins en autarcie, rivalisant avec leurs voisins. Ces groupes étaient organisés en chefferies ; mais les chefs traditionnels n'avaient souvent qu'un pouvoir limité au domaine rituel et juridique. Parmi ces groupes, on distingue les Sara, qui seraient, eux aussi, venus de l'est et qui se seraient installés dans leur zone actuelle au XVIIe siècle. Les Moundang de Léré sont souvent entrés en conflit avec les Sara.

Royaume du Kanem Bornou

C'est le royaume le plus ancien et le plus puissant, dont l'origine remonterait au VIIe siècle. Le premier roi, ou maï, du Kanem s'appelait Sefou ; ce nom a ensuite été arabisé en Seïfoullâhi (" le sabre de Dieu "), à l'époque de l'islamisation du royaume. Il aurait vécu avant l'Hégire et était d'origine téda-tou, bien que la légende le fît venir du Yémen. Le maï Sefou avait installé sa capitale à Ndjimi, entre Mao et Yagoubri, dans l'actuel Kanem. Il fonde ainsi la dynastie sefouwa. Au fil des siècles, trois couches de population constitueront le royaume : les Noirs proprement dits, ou Kanembou, qui habitaient le Kanem à l'arrivée des nouveaux migrants ; les Toubou (habitants du Tou ou Tibesti) provenant du Nord ; les Arabes venus du nord et de l'est. La population était donc plus ou moins métissée. Le premier maï noir, Tsilim ben Bikorou, règne de 1194 à 1220.

C'est le maï Oumé qui, en se convertissant à l'islam vers 1090, est à l'origine d'un royaume musulman à visée expansionniste. Dès lors, il s'acharne à appliquer le djihad ou guerre sainte.

Le Kanem connaît son apogée au XIIIe siècle avec le maï Dounama, qui étend les frontières de son royaume jusqu'au Bornou (nord-est de l'actuel Nigeria), au Fezzan et au Ouaddaï.

Il fonde même une madrasa (école religieuse) au Caire, en 1242, pour héberger ses sujets en route vers le pèlerinage de La Mecque, étendant ainsi sa renommée jusqu'en Egypte. La tradition lui a cependant reproché d'avoir détruit par zèle religieux le mouni, talisman qui assurait la chance à la dynastie. C'est sûrement pour cette raison (!) qu'au siècle suivant (en 1376), le maï Daoud est vaincu par ses vassaux bilala et contraint d'abandonner le Kanem et sa capitale. Son fils, Ali, se réfugie alors au Bornou et y fonde Gassaro, sur les rives du lac Tchad. Le fils d'Ali, Idriss, reprend Ndjimi aux Bilala. La contrée sera visitée par Léon l'Africain, au début du XVIe siècle, époque durant laquelle les maï demeurent au Bornou et se contentent d'envoyer leur représentant au Kanem : l'alifa de Mao.

Le grand roi Idriss Alaoma (1571-1603) reconquiert tout l'ancien royaume et signe un traité de paix avec les Bilala et leurs alliés toubou en 1578. A sa mort, les Bilala reprennent le Kanem, mais sont à leur tour repoussés par les Toundjour venus du Ouaddaï. En 1808, lors de l'assaut des Peuls toucouleur, venus de Sokoto, le maï Ahmed fait appel à un de ses officiers pour le sauver, Mohamed el-Amine, qui sera appelé el-Kanemi. Ce dernier repousse les Toucouleur, devenant le chef de facto du royaume. Attaqué à son tour par les Baguirmiens, il fait alors appel au Turc Youssouf Pacha Karamanli, basé à Tripoli, et à ses troupes ; ils battent alors le mbang (chef des Baguirmiens) en 1824. Le fils d'el-Kanemi, Omar, se fait proclamer sultan en 1846 et abolit ainsi la dynastie sefouwa de la tribu des Magoumi, vieille de plus de mille ans... Il s'établit à Kouka (au nord de l'actuel Nigeria), ville fondée par son père en 1814, où passe l'explorateur Heinrich Barth en 1851.

A la même époque, pour contrer les menaces du Ouaddaï, les Kanemi sont contraints de faire alliance avec les Arabes Ouled Sliman, venus du Nord. Dès lors, ces derniers seront les véritables occupants du Kanem, au nom de la Senoussya, une confrérie musulmane libyenne (les Français les combattront à partir de 1900.)

En 1893, Kouka est rasée par le grand négrier Rabah, mettant ainsi un terme au puissant empire du Kanem Bornou.

Le royaume du Kanem Bornou s'était toujours employé à contrôler les caravanes transsahariennes assurant le commerce des esclaves, mais aussi de l'ivoire, de l'or, du cuir, des plumes d'autruche, du sel... L'empire du Bornou régresse à partir du XVIIIe siècle car ses souverains ne sont plus des conquérants mais des lettrés confinés dans leur cour, tandis que se consolident le Baguirmi, au sud-est du lac Tchad, et le sultanat du Ouaddaï, à l'est.

La Senoussya

Fondée par Muhammad ben Ali El-Sanussi, après son retour de La Mecque au milieu du XIXe siècle, cette confrérie se rattache, sur le plan moral, au soufisme. Elle prône l'ascèse, le renoncement aux plaisirs et la prohibition de tout luxe inutile comme le café, le tabac et même le thé ! Elle recommande aussi un certain nombre d'exercices pieux, les dhikr, visant à l'amélioration de la vie contemplative et au rapprochement avec Dieu. Sur le plan social, la Senoussya représente une théocratie militaire, avec des troupes, les ikhouan, basées dans des zaouïas, qui sont à la fois des places fortes pour le ravitaillement en vivres, en munitions et des lieux de prières, où l'on enseigne la religion.

A la tête de la confrérie, le khalifa délègue ses ordres par l'intermédiaire des mogadem, des agha et des wakil. La Senoussya revendique son autonomie, vivant de pillages et d'offrandes de fidèles, mais elle cherche partout à supplanter l'autorité administrative préexistante. C'est pourquoi le fils du fondateur, Muhammad al Mahdi, surnommé el badr, " la lune ", en raison de sa beauté, ne peut s'établir ni en Egypte, ni en Tunisie, où il est indésirable, et, désireux d'échapper à la surveillance turque en Tripolitaine, il se fixe en 1898 à Gouro, au Borkou, sur la route de Koufra, afin de contrôler le trafic caravanier quittant les royaumes tchadiens pour la Méditerranée. Il instaure dès lors, pour un laps de temps très court, un monopole économique et militaire sur la région, marqué par la spiritualité.

Royaume du Baguirmi

Les Barma, fondateurs du Baguirmi, seraient venus du Yémen et se seraient installés d'abord en pays kenga, dans le Guéra, avant d'aller à Massenya. Il semble qu'ils se seraient alliés avec les Peuls pour les délivrer de leurs suzerains, auxquels ils payaient un tribut, les Bilala. La victoire est remportée par le premier souverain, Dokko Kinga. C'est son successeur, Dala Birni, qui fonde Massenya en 1522, dont le nom vient de mass, " le tamarin ", et d'Enya, prénom de la femme que Birni a rencontrée sous l'arbre, occupée à vendre son lait.

C'est Malo, le troisième roi à régner de 1548 à 1568, qui prend le titre de mbang (" soleil "). Il institue les dignitaires baguirmiens à l'image des Bilala, avec lesquels ils avaient finalement tissé des liens. Son frère l'assassine et impose l'islam au royaume.

En 1736, le royaume atteint son apogée avec Bourkoumanda II qui conquiert le pays bilala. Deux ans plus tôt, il était d'ailleurs sorti vainqueur du premier accrochage avec le Ouaddaï.

Cependant, le royaume ne parvient à l'indépendance que par intermittence : il doit souvent payer des tributs à ses puissants voisins. En 1741, il perd contre le Bornou et devient son vassal. Une guerre civile s'ensuit. Mohamed al Amine en sort vainqueur, et règne 34 ans.

Les Baguirmiens mènent alors de nombreuses expéditions vers le nord et l'est, jusque dans le Ouaddaï. Mais ils subissent de fréquents revers et Massenya est détruite à plusieurs reprises. Les Baguirmiens tentent de profiter de l'affaiblissement du Bornou, attaqué par les Peuls toucouleurs, mais ils sont à leur tour envahis par les Ouaddaïens, conduits par Saboun. Ce dernier prétexte que le sultan veut offenser Dieu en épousant sa propre soeur. Il pille donc la ville et le Baguirmi devient vassal du Ouaddaï. Le royaume ne s'avoue pas vaincu pour autant ; il se retourne contre le Bornou, et le bat à Ngala en 1817, pour une courte durée, car en 1824, il subit une amère défaite et Massenya est de nouveau pillée. La lutte entre les deux royaumes persistera jusqu'en 1846, lorsque le nouveau maï Omar accédera au trône, car sa mère était baguirmienne.

Le mbang Abou Sakine, qui règne de 1858 à 1877, veut remettre en cause la suzeraineté ouaddaïenne, mais en 1871, Ali, fils de Mohamed Chérif et sultan du Ouaddaï, se manifeste : ses troupes attaquent de nouveau Massenya, pulvérisent ses remparts à la poudre, pillent la ville et emmènent de 20 à 30 mille prisonniers dont la totalité des artisans qui feront la future prospérité d'Abéché à la fin du XIXe siècle. Il fait enlever la vieille sagaie de famille, nginga mbanga, la relique sacrée des Barma. Cette lance, vénérée comme symbole de protection et de victoire, est portée devant le mbang à chaque départ et retour de guerre.

Ali fait aussi emmener avec lui les princes royaux, et parmi eux le jeune Gaourang II, qui est ainsi élevé à la cour du Ouaddaï.

Sakine se réfugie à Bougoumène ; il doit payer un tribut encore plus lourd qu'auparavant : 100 hommes esclaves, 30 femmes esclaves, 100 chevaux et 1 000 tuniques. Quant au délégué, préposé à l'impôt, il obtient 10 esclaves, 4 chevaux et 40 tuniques...

Le sultan Youssouf, successeur d'Ali, redonne son trône en 1885 au prince héritier Gaourang II, revenu du Ouaddaï. Le pauvre prince, victime des assauts de Rabah, se réfugie à Mandjafa. Rabah l'assiège et conquiert la ville en 1892, après un siège de cinq mois. Le jeune souverain, ayant réussi à s'enfuir lors du siège, se tourne vers les Français : il signe un traité d'alliance et de protectorat en septembre 1897, sous le contrôle d'Emile Gentil. En attendant le renfort français, Gaourang II abandonne son territoire à Rabah, après avoir brûlé sa capitale, et se réfugie dans le Sud. La mort de Rabah lui permet de retrouver une souveraineté quelque peu amoindrie. Son royaume, devenu un protectorat, est amputé du delta du Chari, au profit des Français. Certes, il garde son autonomie, mais il doit participer à l'effort de guerre des colonisateurs, en fournitures et en assistance militaire. Il meurt amer, en 1918. Les mbang qui lui succéderont (Mahamat Abdelkader, Mohamed Youssouf, Mahamat, assassiné pendant la guerre civile de 1979, Abdramane, Youssouf Mahamat Youssouf, l'actuel étant le mbang Hadji Woli), n'auront plus qu'une autorité morale et honorifique, l'autorité administrative étant assurée par le nouvel Etat.

Les 27 sultans sont enterrés au cimetière de Bum Massenya. Aujourd'hui, on ne peut y distinguer que quelques tombes, la plus ancienne étant celle de Gaourang II.

Sultanat du Ouaddaï

Avant la fondation du sultanat, le Ouaddaï était principalement dominé par les Toundjour, venus du Darfour (actuelle région du Soudan) à la fin du XVe siècle. Leur capitale était Kadama, au sud-ouest d'Abéché. La population était majoritairement noire, avec quelques Arabes.

En 1615, Saleh introduit l'islam. Plusieurs tribus deviennent alors fanatiques. Un guerrier arabe de la tribu dschalidja du Kordofan, Abd el Karim, descendant de Saleh, appuyé par les Maba autochtones, renverse le pouvoir toundjour, prétextant le laxisme religieux des dirigeants. Il se proclame alors sultan du Ouaddaï et établit sa capitale à Ouara, au nord d'Abéché. Il fonde la dynastie maba, islamiste, radicale et cruelle. Le sultan devait obligatoirement épouser une femme maba, suivant les accords établis avec ses alliés. A chaque intronisation d'un nouveau sultan, on faisait crever les yeux de ses frères afin d'éviter des conflits dynastiques ; un sultan aveugle ne peut en effet régner... Le Ouaddaï devient l'Etat le plus puissant de l'Est tchadien, envoyant des expéditions militaires contre le Darfour, le Bornou et le Kanem, tout en dirigeant des raids dans le Sud pour ramener des esclaves et les vendre dans le Nord et l'Orient.

Cependant, en 1835, le Darfour vient piller le Ouaddaï, provoquant une révolte qui permet l'intronisation d'un nouveau sultan pieux, Mohamed Chérif qui règne de 1835 à 1858. Le sultan quitte Ouara et fonde, en 1850, Abéché, " la réjouie ". En 1874, son fils, Ali, reçoit la visite de l'explorateur Gustav Nachtigal.

Au XIXe siècle, le déclin du Bornou à l'ouest ainsi que l'expansion du Fezzan au nord influent sur le parcours des caravanes, qui vont maintenant transiter plus à l'est, augmentant encore la puissance du Ouaddaï.

En 1879, Rabah ravage le Dar Kouti et Youssouf, le successeur d'Ali, fait lever deux armées. Mais, en 1889, Rabah s'installe à Korbol, sur la rive droite du Chari ; il n'aura pas beaucoup inquiété le Ouaddaï, trop éloigné, comparé au Kanem et au Baguirmi.

Cependant, en 1909, les Français entrent à Abéché, après avoir vaincu la résistance farouche des Ouaddaïens.

Ainsi, la période précoloniale est marquée par la domination de ces trois grands royaumes expansionnistes qui rivalisent entre eux pour la conquête du territoire. Ils possèdent des armes à feu, mais sont dépendants de la cavalerie pour leur extension ; ils ne s'aventureront donc pas très loin au sud, et devront s'arrêter à la limite de répartition des mouches tsé-tsé. Ils sont musulmans, ont des contacts avec le Maghreb et même avec la cour ottomane, par l'intermédiaire du commerce des caravanes transsahariennes. La base de ce commerce repose sur la traite des esclaves, majoritairement organisée par les royaumes islamisés du Nord, appartenant au Dar al Islam, par opposition aux habitants du Sud non islamisés, à forte densité de population, sans structure politique élaborée, appartenant au méprisable Dar al Harb, le royaume des infidèles.

LA PÉNÉTRATION EUROPÉENNE
Chronologie

7 millions d'années av. J.-C. > Toumaï vit dans ce qui constitue aujourd'hui l'erg du Djourab.

3,5 millions d'années av. J.-C. > Abel et ses congénères australopithèques peuplent une région de lacs, de forêts et de prairies.

1 000 av. J.-C. à 900 > peuple sao autour du lac Tchad ; bronzes et poteries.

600-1893 > royaume du Kanem Bornou.

1522-1900 > royaume du Baguirmi.

1635-1909 > sultanat du Ouaddaï.

1814 > création de Kouka par el-Kanemi.

1850 > fondation d'Abéché par le sultan Mohamed Chérif.

1851 > l'explorateur Barth est reçu au Bornou par le maï Omar.

1890-1891 > début des missions françaises : le plan Crampel.

1893 > victoire de Rabah sur le Bornou.

1898 > accords de Paris, ils donnent à la mission Gentil les droits de la France sur les rives droites du Chari et le nord du lac Tchad.

Octobre 1899 > construction de Fort-Archambault.

22 avril 1900 > bataille de Kousseri ; défaite de Rabah et mort de Lamy.

29 mai 1900 > Emile Gentil fonde Fort-Lamy.

5 septembre 1900 > création du Territoire militaire des pays et protectorats du Tchad.

17 mars 1920 > le Tchad devient colonie civile avec Fort-Lamy pour capitale.

26 août 1940 > le Tchad se rallie à la France libre avec Félix Eboué.

30 janvier-8 février 1944 > conférence de Brazzaville ; le général de Gaulle veut donner plus de poids politique à l'Afrique.

28 novembre 1958 > proclamation de la première République du Tchad.

11 août 1960 > proclamation de l'indépendance de la République du Tchad ; François Tombalbaye en est le président.

22 juin 1966 > création du Front de libération nationale (Frolinat).

Juin 1969 > unique candidat, François Tombalbaye est réélu président de la République en glanant 99,6 % des suffrages. Lancement de la politique d' " authenticité ".

1973 > occupation de la bande d'Aozou par la Libye.

21 avril 1974 > enlèvement à Bardaï, par un commando du Frolinat, de Françoise Claustre, Marc Combe et de Christophe Staewen.

13 avril 1975 > renversement de François Tombalbaye par de jeunes officiers de l'armée tchadienne.

28 août 1978 > Hissène Habré devient Premier ministre.

12-15 février 1979 > première bataille de N'Djamena.

10 novembre 1979 > création du Gouvernement d'union nationale de transition de Goukouni Oueddeï, à la suite de la conférence de Lagos.

21 mars 1980 > deuxième bataille de N'Djamena.

15 juin 1980 > la Libye envahit le Tchad, à la suite d'un accord, entre Mouammar Kadhafi et le GUNT, dénoncé par Wadel Abdelkader Kamougué.

3 novembre 1981 > retrait des troupes libyennes remplacées par l'Organisation de l'unité africaine.

7 juin 1982 > entrée des Forces armées du Nord (FAN) de Hissène Habré à N'Djamena.

Août 1983-septembre 1984 > opération Manta entreprise par l'armée française contre les forces de Goukouni Oueddeï et leur allié libyen.

1983-1985 > les Codos, mouvements rebelles " sudistes ", s'opposent au régime d'Hissène Habré.

Février 1986 > l'armée française met en place le dispositif Epervier, à la demande de l'Etat tchadien.

1er avril 1989 > Idriss Déby quitte clandestinement le pays pour le Soudan.

11 mars 1990 > création du Mouvement patriotique du salut de Déby.

1er décembre 1990 > entrée d'Idriss Déby à N'Djamena.

15 janvier-7 avril 1993 > Conférence nationale souveraine ; élection d'un Premier ministre et mise en place d'un Conseil supérieur de transition.

Mai 1994 > retrait de la Libye de la bande d'Aozou, à la suite du jugement de la Cour internationale de justice de La Haye.

9 février 1995 > décret promulguant l'enseignement bilingue franco-arabe.

3 juillet 1996 > Idriss Déby est élu, au second tour de l'élection présidentielle, au suffrage universel. Plusieurs partis étaient représentés.

21 mars 1997 > élections législatives ; le MPS obtient la majorité absolue.

Décembre 1998 > sécession de Youssouf Togoïmi au Tibesti.

1999 > le Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT), créé en octobre 1998 par un ancien ministre du président Déby, Youssouf Togoïmi, bouscule sévèrement les forces gouvernementales dans le Nord. Le pouvoir est toujours aux prises avec plusieurs rébellions armées.

Décembre 1999 > nouvelle poussée de Togoïmi dans le Nord et remaniement gouvernemental.

20 mars 2001 > alors que la Cour de cassation du Sénégal se déclare incompétente pour juger l'ancien président en exil Hissène Habré (inculpé le 3 février 2000 pour complicité de crimes contre l'humanité), 21 victimes de Hissène Habré portent plainte contre celui-ci auprès de la justice belge, créant ainsi les conditions d'une possible extradition de l'ancien dictateur vers la Belgique.

20 mai 2001 > premier tour de l'élection présidentielle. Avant même l'annonce des résultats, les adversaires du président Déby dénoncent des fraudes massives. Les résultats, proclamés le 28, accordent la majorité absolue au président sortant, qui remporte 67,4 % des suffrages.

7 janvier 2002 > signature d'un cessez-le-feu avec le principal mouvement rebelle du pays, le MDJT, sous l'égide de la Libye, ce qui met fin à 3 ans de guerre dans le Nord. Cependant des affrontements reprennent en mai.

21 avril 2002 > le MPS remporte les élections législatives (113 sièges sur 155).

Octobre 2003 > mise en service, le 10 octobre, d'un oléoduc reliant le gisement de pétrole de Doba, dans le sud du pays, au terminal de Kribi, au Cameroun.

Février 2003 > début de la crise du Darfour.

16 mai 2004 > tentative de coup d'Etat avortée contre le président Déby.

6 juin 2005 > référendum sur la modification de la Constitution de 1996, donnant la possibilité à Idriss Déby de se présenter sans limite à l'élection présidentielle.

3 mai 2006 > Idriss Déby est réélu à la tête du pays.

Février 2008 > des violences éclatent lors de la tentative de prise du pouvoir par les troupes armées rebelles voulant renverser le gouvernement d'Idriss Déby en pénétrant dans N'Djamena, après une traversée du pays depuis le Soudan voisin. Plus d'un millier de ressortissants français et étrangers doit quitter le pays.

8 février 2010 > normalisation des relations bilatérales entre le Soudan et le Tchad.

Avril 2010 > l'utilisation et la commercialisation des sacs plastiques sont interdites à N'Djamena. Une décision salutaire pour l'environnement. Car ces sacs, servant à envelopper les achats de toute sorte, se retrouvent, après usage, jetés dans les rues et accrochés aux arbres. Cette interdiction est amenée à s'étendre à tout le pays. C'est une première dans la région.

25 mai 2010 > les autorités tchadiennes et le Conseil de sécurité de l'ONU s'accordent pour sonner la fin de la MINURCAT (Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad) dans l'est du Tchad, où les soldats de l'ONU assurent la sécurité des réfugiés soudanais, des déplacés tchadiens et des humanitaires, auxquels s'ajoute la population de toute la région dépassant les 700 000 habitants. Le départ des 3 000 soldats présents dans cette partie du Tchad a été achevé le 31 décembre 2010. Cette décision ferme plonge les expatriés humanitaires et les populations vulnérables dans une grande inquiétude.

Juillet 2010 > Suite à une mauvaise saison des pluies en 2009, les récoltes céréalières sont faibles dans les pays sahéliens comme le Tchad, conduisant 2 millions de personnes dans une grande précarité alimentaire.

25 avril 2011 > Idriss Déby est réélu président de la République.

2014 > exode massif et rapatriement des Tchadiens vivant en République centrafricaine.

1er août 2014 > le dispositif Epervier cède la place à l'opération Barkhane, axée sur la lutte antiterroriste au Sahel.

15 juin 2015 > un attentat-suicide, revendiqué par Boko Haram, coûte la vie à plus de 30 membres des forces de l'ordre à N'Djamena.

11 juillet 2015 > un kamikaze de Boko Haram se fait exploser sur le marché central de la capitale tchadienne coûtant la vie à quinze personnes.

10 avril 2016 > en obtenant 61,56 % des voix lors du premier tour de la présidentielle, Idriss Déby rempile pour un cinquième mandat.

30 mai 2016 > à l'issue de 16 années d'imbroglio juridique, Hissène Habré est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour viols, crime contre l'humanité et torture.

4e trimestre 2016 > grèves et manifestations se multiplient pour protester contre les impayés dans la fonction publique et les coupes budgétaires.

Explorateurs

Dès le milieu du XIXe siècle, Allemands, Anglais et Français vont rivaliser pour la découverte et la possession des territoires de l'Afrique centrale. Deux explorateurs allemands se sont particulièrement illustrés dans ces contrées.

Heinrich Barth (1821-1865). Il part en 1850 de Tripoli, pour le compte du Foreign Office, avec pour mission de rallier Tombouctou. Il est accompagné de James Richardson, qui meurt en mars 1851. Seul, Barth parcourt plus de 20 000 km en quatre ans. Il arrive à Kouka, alors capitale du Bornou, en avril 1851. Il est bien accueilli par le maï Omar qui l'aide à monter des missions d'exploration vers le Baguirmi, le Kanem, le Logone et jusque dans l'Adamaoua, au Cameroun. Ensuite, il parvient à Tombouctou, revient à Kouka et rentre à Tripoli. De retour en Angleterre, il publie cinq volumes. On y trouve notamment de nombreux relevés de peintures et gravures rupestres effectués dans le Tibesti en 1851.

Gustav Nachtigal (1834-1885). Avant lui, le gouvernement britannique avait envoyé Edouard Vogel à la recherche de Barth. Le 1er décembre 1854, les deux hommes se rencontrent à Kouka. Mais Vogel entreprend un voyage au Ouaddaï. Il y rencontre le sultan Mohamed Chérif qui le fait périr. Nachtigal, ancien médecin dans l'armée prussienne, part en 1861 à la découverte de l'Afrique et visite la Tunisie. En 1868, il est choisi pour une mission dans le Bornou, afin de remettre des présents au maï, qui avait si bien accueilli Barth. Il se joint à une caravane à Tripoli, et arrive à Kouka en 1870. De là, il partira dans le Darfour, et sera même reçu à Ouara ; puis il partira pour l'Egypte.

Le plan Crampel (1890-1891)

La mission française consistait à atteindre le Tchad en remontant la Bénoué. Mais tous ses membres sont assassinés en 1891 par le sultan du Dar Kouti, Mohamed es Senoussi, un vassal de Rabah.

Mission Monteil (1890-1892)

La rivalité coloniale entre la France et l'Angleterre est alors à son apogée. Une convention signée en août 1890 réserve à l'Angleterre tout ce qui se trouve au sud de la ligne Say-Barroua (ligne qui s'étend du fleuve Niger jusqu'aux rives occidentales du lac Tchad), des territoires qui dépendent notamment des royaumes haoussa. Le Bornou et l'Adamaoua sont encore indépendants. Monteil, aidé de Mizon, doit y établir les droits français. En 1892, ils arrivent à Kouka. Le 14 août 1893, l'Allemagne et l'Angleterre se partagent la région ; la France proteste, et obtient finalement gain de cause avec le droit de conquérir le Tchad.

L’épopée rabiste

Rabah, dont le nom signifie " celui qui gagne ", était le fils d'un ébéniste de Sennar (Soudan). Enrôlé de force dans l'armée égyptienne, il s'était enfui et mis au service d'un négrier du Bahr el-Ghazal, Zoubeïr, qui sera emprisonné par les Egyptiens. Son fils, Soliman, se rend finalement aux troupes anglo-égyptiennes de Gordon Pacha commandées par l'Italien Romolo Gessi. Seul Rabah refuse de se rendre et invite ses fidèles à partir avec lui " vers l'ouest, à la grâce de Dieu ". Suivi de quelques milliers de partisans bazinguer armés de carabines, il fait irruption au Dar Kouti, puis se heurte à un aguid (commandant de province) ouaddaïen, Cherif ed-Din. Il oblique alors vers le lac Iro et descend dans l'Oubangui-Chari. Ensuite, il remonte dans le pays sara, traverse le Chari et rassemble ses troupes à Korbol, laissant le Dar Kouti à l'un de ses vassaux, Mohamed es Senoussi, qui fera entre autres, en 1891, assassiner les membres de la mission Crampel (en 1911, il sera tué par les Français). A partir de 1890, Rabah s'attaque au Bornou, et prend lui-même le titre de maï, fondant une nouvelle capitale, Dikwa ; en 1899, il y fait pendre un malchanceux explorateur français, Ferdinand de Béhagle.

C'est l'époque de la toute-puissance de Rabah dans la région. Il a écrasé le lieutenant Bretonnet et ses tirailleurs à Niellim en juillet 1899, puis a repoussé Emile Gentil à Kouro, en octobre. Son expansion ne prendra fin qu'avec sa mort, à la bataille de Kousseri, le 22 avril 1900, après le ralliement de trois colonnes françaises contre lui.

Caravanes transsahariennes

Elles reliaient le Sud et le Nord du Sahara. Déjà, au Ier millénaire av. J.-C., les pistes étaient utilisées par les chariots et les caravanes des Carthaginois. La voie la plus parcourue était la route des Garamantes, qui reliait Tripoli au Fezzan et au Bornou. Le trafic culmine au XVIe siècle, la sécurité des routes étant assurée par les empires du Bornou et des Songhaï. Après la destruction de l'empire songhaï, en 1591, par le Marocain el-Mansour, et le déclin du Bornou, à partir du XVIIIe siècle, les Touaregs attaquent les caravanes, rendant le voyage dangereux. En 1835, la chute de la dynastie Karamanli à Tripoli et l'affaiblissement du Bornou, notamment sous les assauts peuls, tarissent le trafic en le déviant vers l'est. Au XIXe siècle, la route Cyrénaïque-Koufra-Ouaddaï prime l'axe Ghadamès-Kano.

La base de ce commerce est la traite des esclaves, attestée dès le IXe siècle. Les esclaves sont capturés dans les régions sahéliennes et soudanaises lors de batailles ou de razzias ; les hommes sont le plus souvent tués, et les femmes et les enfants emmenés et vendus au Maghreb, en Egypte ou en Orient. La traite des esclaves prend progressivement fin au début du XXe siècle à l'arrivée des Européens. Dès lors, le commerce transsaharien traditionnel disparaît et avec lui la prospérité des sultans du Sahel.

Conquête militaire (1900-1913)

A l'arrivée des Européens, ce que nous appelons aujourd'hui le Tchad était une région composée, au sud, d'une mosaïque de peuplades non organisées qui ont très peu résisté à l'envahisseur, contrairement aux grands royaumes sahéliens, au nord, qui se sont vu proposer le protectorat.

En 1897, Emile Gentil remonte l'Oubangui puis le Chari. Dans le Baguirmi, il rencontre le mbang Gaourang II, qui l'accueille comme un libérateur face au négrier Rabah. Dès lors, afin de battre Rabah, trois expéditions militaires prennent la route pour converger au Tchad : la mission Voulet-Chanoine (ces deux officiers seront remplacés par Joalland, à la suite des nombreuses exactions commises sur leur route), qui doit rejoindre le Tchad par l'ouest (Sénégal, Niger), la mission Gentil, qui arrive par le sud (Emile Gentil ordonnera, durant le second semestre de l'année 1899, l'édification d'un fort sur le Chari, qui sera nommé Fort-Archambault, actuelle Sarh, en souvenir d'un officier mort au combat) et la mission Foureau-Lamy, partie d'Algérie, qui traverse le Sahara. Les trois missions se rejoignirent le 21 avril 1900, près de Kousseri ; le lendemain a lieu la bataille de Kousseri, au cours de laquelle Rabah et le commandant Lamy trouvent la mort. Fort-Lamy (future N'Djamena) est fondé par Gentil comme poste avancé sur l'autre rive du Chari, le 29 mai 1900, sur l'emplacement d'un petit village kotoko. Le Territoire militaire des pays et protectorats du Tchad est créé le 5 septembre 1900.

Mais si le Sud, harcelé par les razzias nordistes, était acquis à la cause française, l'est et le nord du pays, de confession musulmane, voient d'un très mauvais oeil l'arrivée d'infidèles. On offre donc la constitution d'un protectorat pour le Ouaddaï, le temps de se libérer de la menace sénoussiste dans le Borkou. En 1902, la zaouïa de Bir Alali est prise d'assaut ; en 1907, c'est le tour de celle de Faya.

Dans le Ouaddaï, les Français ont leur prétendant au trône : Acyl, fils du sultan Ali, qui a fui pour éviter d'être aveuglé lors de l'intronisation de Doudmourah en 1902. Ils entrent alors à Abéché en 1909. Mais Doudmourah s'allie au sultan des Massalit, Tadj el Din, et tente de reconquérir son trône à la bataille de Doroté, les 8 et 9 novembre 1910. Tadj el Din est tué et le pouvoir de Doudmourah, qui peut se réinstaller au Ouaddaï après un exil de plus d'un an, sensiblement réduit ; Doudmourah se rendra définitivement en octobre 1911 ; il est alors remplacé par Acyl.

Ayant pacifié l'Est, Largeau entreprend l'occupation définitive du Borkou. Il conquiert la zaouïa d'Aïn Galaka le 27 novembre 1913, mettant ainsi un terme définitif aux combats.

Au lendemain de la conquête, les Français sont donc les alliés militaires des Baguirmiens ; ils les ont aidés à vaincre Rabah qui a rasé Massenya, leur capitale. Ils sont les amis des peuples sara qu'ils libèrent de la menace constante des raids esclavagistes du Nord. Mais chez les Ouaddaïens, ils incarnent un pouvoir infidèle, qui impose sa force étrangère à travers le sultan Acyl, une marionnette usurpatrice, sur un royaume fier et invaincu.

Enfin, les Français stoppent les visées turques sur le pays : les Turcs possèdent des garnisons à Bardaï et à Sherda, mais ils doivent se replier après leur défaite de 1911 en Tripolitaine contre les troupes italiennes.

Emile Gentil (1866-1914)

Cet officier français explore l'Afrique dans les dernières années du XIXe siècle. Il remonte l'Oubangui puis le Chari sur le vapeur Léon Blot. Gentil sauve le mbang Gaourang II des griffes de Rabah, dans le Baguirmi. Il en profite pour le maintenir sévèrement sous la coupe française. En 1899, il fait bâtir un poste militaire qui sera très vite baptisé Fort-Archambault (future Sarh). Le 22 avril 1900, il participe à la bataille de Kousseri et, un peu plus d'un mois plus tard, fonde Fort-Lamy (future N'Djamena) comme poste avancé sur la rive droite du Chari. Plus tard, il sera promu commissaire général des territoires du Congo.

LE TCHAD, COLONIE FRANÇAISE

Le 17 mars 1920, le Tchad devient une colonie civile directement rattachée au Gouvernement général de l'Afrique-Equatoriale française (AEF). Ses frontières sont identiques à celles d'aujourd'hui. Mais du fait des vicissitudes des rapports franco-allemands, elles ne seront définitivement établies qu'en 1936. Au sud, la limite est définie avec l'Oubangui-Chari (le pays sara, oubanguien pour un temps, ne retournera au Tchad qu'en 1936), qui est aussi un territoire de l'AEF. On gardera les mêmes frontières, plus tard, avec la Centrafrique. A l'ouest, les frontières seront délimitées selon des accords franco-allemands qui auront plutôt l'allure de marchandage ; ainsi, la ligne de démarcation entre le Tchad et le Cameroun séparera arbitrairement une même peuplade (exemple des Kotoko, des Moundang...). La frontière avec le Niger marque la limite entre l'AEF et l'Afrique-Occidentale française. Celle avec le Soudan sera négociée en 1923. La frontière nord va donner naissance, quelques décennies plus tard, au conflit de la fameuse bande d'Aozou. Dans le cadre d'accords entre puissances coloniales, la France abandonne cette " bande " à la Libye italienne (accords Laval-Mussolini). Cependant, la ratification n'a jamais été menée à son terme. Toutefois, le colonel Kadhafi s'est appuyé sur les accords franco-italiens pour envahir un territoire qu'il considérait comme sien et potentiellement riche en pétrole et en uranium.

Organisation administrative

Après avoir conquis le Tchad, la France s'en désintéresse. En effet, le pays est pauvre par rapport aux autres colonies. Etre administrateur colonial au Tchad est le lot des novices ou équivaut à une punition.

La colonie du Tchad comprend neuf régions, ayant chacune un administrateur à leur tête. Au sommet de la pyramide se trouve le gouverneur, installé à Fort-Lamy, la capitale.

La colonie n'a pour ressource que son propre budget, levé par des impôts locaux sur les personnes et le bétail. Par manque de moyens, on maintint donc souvent l'administration militaire, la seule payée par la métropole ! Le Borkou-Ennedi-Tibesti (BET) n'a d'ailleurs jamais eu d'administration civile.

L'autorité de l'administrateur est fondée sur le Code de l'indigénat, qui permet de régler directement nombre de litiges, sans avoir à en référer aux autorités supérieures ou à la justice.

Il n'y a, entre autres, guère d'argent pour la construction d'infrastructures ; pour réaliser les quelques routes, la main-d'oeuvre sera réquisitionnée. Les plus pauvres peuvent ainsi se dédouaner de l'impôt à la sueur de leur front, en accomplissant quelques journées de travail.

Les régions sont divisées en cantons, sous l'autorité des chefs traditionnels ou des anciens sultans, qui deviennent ainsi chefs de canton, payés par leurs administrés. Toutefois, les chefs traditionnels refusent parfois de se soumettre à l'autorité coloniale. On met alors à leur place des remplaçants, qui bien souvent sont de simples gens promus à un rang qui n'est pas le leur. La tentation est forte d'abuser de ces nouveaux pouvoirs tombés du ciel... De même, la perception de droits traditionnels qui doivent permettre aux chefs de canton de vivre n'est pas toujours de règle à cette époque. Ces changements trop rapides, les nombreux abus et la tyrannie des nouveaux chefs suscitent le mécontentement général. Même les peuples du Sud, qui ont été si contents - au début - d'accueillir les Français, commencent à manifester leur désapprobation.

D'autre part, les Sara du Sud ont vite d'autres motifs de contestation : la réalisation de la ligne de chemin de fer Congo-Océan, qui doit relier Brazzaville au port de Pointe-Noire pour désenclaver les contrées d'Afrique centrale et acheminer leurs richesses minérales et végétales sur le littoral atlantique, se fait au détriment de la main-d'oeuvre la plus proche et la plus solide, c'est-à-dire les hommes sara. Les Daye (appartenant au groupe sara) se révolteront en 1929 contre ces travaux forcés ; mais le chef des Sar, Bézo, réprimera très durement le soulèvement, que l'on appellera la guerre du Mandoul.

Le Sud offre d'excellentes conditions climatiques : en 1928, les Français imposent la culture du coton, afin de payer la taxe et d'assurer la survie économique de la colonie. C'est un travail dur, chichement rémunéré, et qui se fait aux dépens des cultures vivrières et maraîchères. Toutefois, la culture du coton amènera aussi au Sud la monétarisation, avec l'accession à une économie moderne et la mise en place d'une urbanisation précoce, alors que le Nord reste non urbanisé et très attaché aux anciennes formes d'échanges.

Enfin, la scolarisation, réalisée en langue française, est souvent timide et inégalement suivie ; en 1933, la plus grande école de Fort-Lamy ne compte que 135 élèves ! Si les populations du Sud ont assez facilement envoyé leurs enfants à l'école française, les populations musulmanes de l'Est et du Nord ont fait de la résistance : elles n'envoyaient que quelques fils d'esclaves à l'école, afin d'éviter que leurs propres fils ne soient contaminés par les doctrines étrangères laïques. Les enfants nordistes continuent donc de suivre l'école coranique.

Ce déséquilibre explique pourquoi, à l'aube de l'indépendance, le pays est dominé politiquement et administrativement par l'influence sudiste, les kirdis (esclaves) d'hier, éduqués dans la logique de pensée européenne.

Ainsi, dans le Sud, la colonisation a amené une centralisation avec création de chefs de canton et de chefs de village, par rapport à la décentralisation antérieure des anciens chefs de terre.

Au contraire, dans le Nord, l'administration coloniale aura détruit les anciennes formes de pouvoir centralisé (les sultanats ou royaumes), pour imposer une multitude de petits pouvoirs désormais égaux. Les chefferies vassales deviennent les égales des suzeraines, entraînant de nombreux mécontentements à l'origine de révoltes et de guerres tribales.

On assiste donc à un renversement de l'hégémonie du Nord sur le Sud, considéré comme le Tchad " utile " (sous-entendu, à la métropole) sur lequel la France appuie son administration et son économie. Les anciens esclaves sont devenus les nouveaux maîtres...

La colonisation a permis la création d'hôpitaux, la quasi-disparition de la trypanosomiase humaine, ainsi que la mise en place d'un réseau de télégraphie.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale

Le Tchad est le premier territoire à se rallier à la France libre, le 26 août 1940, sous l'instigation conjuguée de son gouverneur, Félix Eboué, et du lieutenant-colonel Marchand. Le 2 décembre 1940, le colonel Leclerc est nommé commandant militaire du Tchad. La colonne Leclerc, composée notamment de Tchadiens et d'Oubanguiens, libérera Paris et Strasbourg, et s'emparera de Berchtesgaden.

Vers l’émancipation et l’indépendance

En 1944, la conférence de Brazzaville a lieu. Elle réunit de Gaulle et tous les gouverneurs coloniaux. Le Code de l'indigénat est supprimé ainsi que les travaux forcés. Une participation des populations à leurs propres affaires est décidée. La colonie devient un territoire d'outre-mer intégré dans la fédération de l'AEF. Le Tchad désigne un député à l'Assemblée nationale et élit, au système du double collège, une Assemblée territoriale qui gère les affaires locales.

Dès 1945, les Tchadiens peuvent voter pour les Assemblées nationale et constituante en France, ainsi que pour les référendums...

En 1946, les premiers partis politiques apparaissent. Ils seront vite nombreux, fréquemment remaniés, et seront influencés par des clivages ethniques et religieux. Les plus importants sont le Parti progressiste tchadien (PPT) - à visée indépendantiste et membre du Rassemblement démocratique africain (RDA) - créé sous l'instigation de Gabriel Lisette ; l'Union démocratique tchadienne (UDT), parti gaulliste, avec Sahoulba, Jean Baptiste et Djibrine Kherallah ; le Mouvement socialiste africain (MSA), la gauche musulmane, avec Ahmed Koulamallah. Les populations du Sud, plus instruites, dominent très vite la vie politique du pays.

Le 23 juin 1956, la loi-cadre Defferre, qui accorde l'autonomie interne aux anciennes colonies françaises d'Afrique noire, supprime le double collège, qui surreprésentait les Blancs, développe les pouvoirs des autorités locales et les prépare à l'indépendance. C'est la fin de l'AEF et de l'AOF. Deux ans plus tard, en 1958, l'Assemblée territoriale du Tchad opte pour le statut d'Etat membre de la Communauté. Le 28 novembre 1958 est proclamée la République du Tchad. Le 4 décembre 1958, l'Assemblée territoriale devient l'Assemblée constituante avec mise en place d'un gouvernement provisoire de la République du Tchad. Le 31 mars 1959, la première Constitution est votée.

François Tombalbaye, un ancien instituteur appartenant au PPT, est nommé Premier ministre. Il écarte vite Lisette, qui se trouve alors à l'étranger, sous prétexte qu'il est d'origine coloniale et donc indésirable. Dès novembre 1959, il promulgue une loi permettant au gouvernement d'éloigner, d'interner ou d'expulser les personnes aux agissements dangereux pour l'ordre public.

Le 11 août 1960, la République du Tchad accède à l'indépendance. François Tombalbaye devient président ; il n'y a pas de Premier ministre.

PREMIÈRE RÉPUBLIQUE (1960-1975)
Etablissement d’un pouvoir personnel, directif et répressif

Le chef de l'Etat va, petit à petit, mettre en place un pouvoir personnel. L'Assemblée nationale n'a qu'un pouvoir législatif limité. Les opposants sont expulsés, incarcérés ou exécutés : Lisette, le fondateur du PPT, menacé, est contraint à l'exil ; Pierre Toura Gaba, un diplomate, est emprisonné pour subversion... Parallèlement, l'information est contrôlée, la police secrète s'infiltre partout ; le culte du chef s'organise.

En 1961, le Congrès pour l'unité nationale a lieu à Abéché. Il a pour but de rallier tous les autres partis à celui du président. En effet, le 19 janvier 1962, une loi interdit tout autre parti que le PPT. Une nouvelle Constitution est votée le 16 avril 1962, qui met fin à la liberté d'expression et renforce encore les pouvoirs du chef de l'Etat. Le président est élu pour sept ans ; un simulacre d'élection aura bien lieu en 1969 ; le président sortant, candidat unique, étant réélu avec un taux record de 99,6 % !

Apparition des premières contestations

Les opposants, auxquels le président Tombalbaye avait accordé quelques faveurs lors du congrès d'Abéché, sont de nouveau écartés du gouvernement ; ils fomentent alors une manifestation dans les rues de Fort-Lamy le 16 septembre 1963, ce qui les conduira directement en prison...

En 1965, la révolte populaire de Mangalmé a lieu : la population locale proteste contre les abus d'impôts réclamés par l'administration sudiste en place. C'est une jacquerie paysanne, nullement politisée, qui ne traduit que le mécontentement des paysans préoccupés par leur pain quotidien.

Le 22 juin 1966, le Front de libération nationale (Frolinat) est créé. Il devient le parti des opposants musulmans de l'Est et du Nord. Ses leaders sont Abba Siddick et Goukouni Oueddeï. C'est un mouvement de lutte armée qui cristallise l'opposition populaire et l'exploite politiquement.

En 1968, les incidents de Bardaï éclatent. Ils ont pour origine les agissements abusifs du sous-préfet local, un certain lieutenant Alafi.

A cette période, le gouvernement central se trouve isolé, avec une armée faible, épuisée en guérillas incessantes contre le Frolinat. Le président Tombalbaye fait alors appel à la France, en vertu des accords de défense signés au moment de l'indépendance, qui intervient militairement à partir du 14 avril 1969, pour repousser les forces armées rebelles du Frolinat dans des poches de résistance. En échange, les Français recommandent des réformes administratives, visant principalement à réinstaller les chefs traditionnels ainsi que les sultans de la ceinture sahélienne (ils seront de nouveau déboutés après 1975), assistés de conseillers français.

La période 1971-1972 voit naître une tentative de réconciliation ; pour montrer sa bonne volonté, le président Tombalbaye fait libérer quelques contestataires. De plus, il essaie de négocier avec le Frolinat ; mais l'un de ses émissaires, un certain Hissène Habré, se rallie aux rebelles ! Cependant, cette tentative de pacification avorte, à la suite de la révolte estudiantine de 1971, et après la découverte, en 1972, d'un commando du Frolinat chargé de commettre des sabotages à Fort-Lamy.

Le 21 avril 1974, un détachement du Frolinat enlève à Bardaï l'archéologue Françoise Claustre, le coopérant Marc Combe et le médecin allemand Christophe Staewen. Ils réclameront une rançon, ainsi que la libération de prisonniers politiques.

La révolution culturelle : retour aux sources sudistes et campagne antifrançaise

Le PPT est dissous le 27 août 1973 et devient le Mouvement national pour la révolution culturelle et sociale (MNRCS), parti toujours unique.

La même année, la Libye occupe la bande d'Aozou, au nord du Tibesti.

La révolution culturelle, calquée sur la révolution zaïroise du président Mobutu, avait pour but de purger le Tchad de l'impérialisme colonial français. Ainsi, tous les noms à consonance française sont changés : Fort-Lamy devient N'Djamena ; Fort-Archambault, Sarh. En outre, tous les anciens noms et prénoms christianisés des populations du Sud doivent être islamisés ou " ethnicisés " du jour au lendemain. Le président, lui-même, change son prénom français (François) en Ngarta, terme sara qui signifie " chef ". Bref, le président Tombalbaye revendique la " tchaditude ".

Parallèlement, il réinstaure le yondo, le rite d'initiation sara. Toute la génération d'origine méridionale, chrétienne donc non initiée, devait être soumise au yondo ; de nombreux fonctionnaires déjà bien âgés (le rite a lieu à l'âge de douze ans en général) sont enlevés et initiés de force. Après quoi, on les présente de nouveau à leurs parents qu'ils sont censés n'avoir jamais vu... De nombreux chrétiens perdent la vie, refusant d'abjurer leur foi ; tous sont humiliés.

La paranoïa du chef de l'Etat se dirige alors vers l'armée : les membres importants sont accusés de complot et emprisonnés. Une milice personnelle anti-coup d'Etat voit le jour. Le 13 avril 1975, de jeunes officiers, voulant venger leurs aînés, renversent le pouvoir et tuent le président Tombalbaye.

L’occupation de la bande d’Aozou

Aozou est un petit poste militaire au nord du Tibesti, à 90 km au nord-est de Bardaï et à 470 km au nord-ouest de Faya. La bande d'Aozou représente un territoire de 114 000 km2, long de plus de 1 000 km et large de plus de 110 km. D'anciens accords, jamais ratifiés, avaient été passés entre Laval et Mussolini quant à cette bande de terre, qui, selon certaines rumeurs, serait riche en pétrole, en uranium et autres minerais.

Tombalbaye aurait secrètement cédé la bande à la Libye en 1972, en échange de l'arrêt de son appui à Abba Siddick et son Frolinat. Le colonel Kadhafi soutenait en effet le Frolinat depuis 1971 et l'avait même reconnu comme représentant unique du peuple tchadien ; Tripoli servait de base d'entraînement aux rebelles, et trente minutes quotidiennes d'antenne sur la radio libyenne leur étaient accordées. Par ailleurs, Kadhafi aurait également offert la somme de 23 millions de FCFA au président tchadien (cette somme n'a d'ailleurs jamais été retrouvée).

En 1973, la Libye occupe pacifiquement la zone et s'en sert de base aérienne. Elle deviendra aussi une base militaire en 1978, ainsi qu'en 1986 pour les réfugiés du Gouvernement d'union nationale de transition (GUNT) de Goukouni Oueddeï.

A partir de 1986, Hissène Habré décide de libérer la bande de son emprise libyenne. Lors d'une attaque éclair, menée fin juillet-début août 1987, il la reprend, infligeant de très lourdes pertes à la Libye et faisant de nombreux prisonniers. Mais la France, craignant les menaces libyennes de représailles, contraint les Tchadiens à se retirer le 28 août. Le 5 septembre, toutefois, les Tchadiens passent la frontière et détruisent Maaten-es-Sarra, une autre base militaire. Le colonel Kadhafi accepte alors d'en référer pour ce litige à la Cour internationale de justice de La Haye, qui, en février 1994, reconnaît la souveraineté tchadienne sur le territoire. La Libye évacue ses troupes en mai, après 21 années d'occupation.

INSTABILITÉ POLITIQUE ENDÉMIQUE (1975-1982)
Le Conseil supérieur militaire (1975-1979)

A la suite du coup d'Etat est mis en place un Conseil supérieur militaire (CSM), dirigé par le général Félix Malloum.

Les prisonniers politiques sont libérés ; des enquêtes sur la corruption et les disparitions sont ordonnées ; la révolution culturelle est stoppée, un appel à la réconciliation nationale est lancé. Néanmoins, aucun autre parti politique n'est autorisé et la presse est contrôlée par le CSM. Le 27 septembre 1975, le général Malloum décide de mettre fin à la présence militaire française sur le territoire, ce qui est fait en octobre. Tous les partis se rallient au CSM, sauf les Forces armées du Nord (FAN) (faction du Frolinat) de Hissène Habré et de Goukouni Oueddeï, réfugiées dans le Tibesti.

Cependant, au sein du CSM naissent des dissensions entre le général Malloum, un ancien prisonnier désireux avant tout de maintenir la paix civile, et le jeune et fougueux colonel Kamougué, qui avait dirigé le coup d'Etat du 13 avril.

Des désaccords éclatent aussi au sein des FAN qui se scindent en deux factions ; Hissène Habré est rejeté du Tibesti par Oueddeï, et forme une nouvelle mouture des FAN au Soudan, car leur avis diverge quant aux relations à entretenir avec la Libye et au sort de Françoise Claustre, toujours retenue en otage. Au départ de Hissène Habré, Goukouni Oueddeï fait libérer Françoise Claustre et attaque par deux fois, en 1977 et en 1978, les bases du Borkou (Kirdimi, Faya) et du Tibesti (Bardaï, Zouar), infligeant des pertes sévères à l'armée, mais aussi aux habitants, avec l'appui de la Libye.

Le CSM, désireux de calmer les ardeurs du Frolinat, négocie alors avec les FAN de Hissène Habré, qui devient Premier ministre le 28 août 1978, à la suite des accords de Khartoum signés un an plus tôt.

Les FAN sont intégrées dans l'armée tchadienne régulière, ce qui entraîne certaines rivalités sur les équivalences de grades entre les deux armées. Il y a alors un régime bicéphale à la tête de l'Etat, les deux chefs (le général Malloum et Hissène Habré) menant une politique individuelle.

Le 25 septembre 1978, le Premier ministre, Hissène Habré, lors de son discours-programme, lance une réforme administrative qui vise à doser ethniquement la répartition des postes, au détriment de la compétence, pour lutter contre l'hégémonie sudiste dans l'administration. Une crise politique aiguë et une paralysie complète de l'Etat s'ensuit. Les provocations extrémistes des deux camps se multiplient. Un accrochage éclate au lycée Félix Eboué, le 12 février 1979, entre élèves nordistes soutenant la grève décrétée par le Conseil de commandement des forces armées du Nord (CCFAN) et les sudistes la refusant, aidés par les Forces armées tchadiennes (FAT) du colonel Kamougué. Cette étincelle met le feu aux poudres. La guerre civile éclate : elle sera d'une brutalité sans précédent et laissera une empreinte indélébile dans l'esprit des Tchadiens. La première bataille de N'Djamena durera du 12 au 15 février 1979 ; on dénombrera plus d'un millier de morts, musulmans ou sudistes. La population chrétienne fuira la capitale dans un vaste exode vers le sud du pays ou le Cameroun.

Huit groupes armés s'affrontent : les FAT du colonel Kamougué, qui est l'ancienne armée régulière du CSM ; la Première armée populaire du Frolinat, avec Mahamat Abba Saïd, l'un des fondateurs du Frolinat ; la Première armée Volcan du Frolinat d'Abdoulaye Adoum Dana ; la Première armée du Conseil démocratique révolutionnaire (CDR) d'Acyl Ahmat Akhabach ; les Forces armées populaires (FAP), regroupant la IIe armée du Frolinat de Goukouni Oueddeï ; les FAN dissidents de la IIe armée du Frolinat avec Hissène Habré ; le Mouvement populaire de libération du Tchad (MPLT), la IIIe armée du Frolinat ; l'Union nationale démocratique (UND) du Dr Fatcho Balaam, avec le parti communiste du sud-ouest du pays.

Il s'ensuit une période de flottement qui durera jusqu'en 1982. le colonel Kamougué et ses FAT se replient dans le Sud, où est formé le Comité permanent, gouvernement quasi indépendant.

Sous l'égide du Nigeria, diverses tentatives de réconciliation ont lieu. Les conférences de Kano I et II, dans lesquelles la plupart des partis politiques sont représentés, aboutissent à la désignation d'un gouvernement intérimaire, fin avril 1979, dirigé par Lol Mahamat Choua. Hissène Habré est ministre de la Défense, Goukouni Oueddeï ministre de l'Intérieur ; le colonel Kamougué, nommé vice-président, se désiste pour former le Comité permanent. Mais le 7 mai, Hissène Habré prend une initiative personnelle et envoie les FAN mater les dissidents du Sud. C'est un échec, mais le gouvernement démissionne. Il sera remplacé par le GUNT quelques mois plus tard.

Prise d’otages de Bardaï

Le 21 avril 1974, un groupe armé du Frolinat fait irruption chez les Staewen, un couple de médecins allemands qui viennent de rouvrir l'hôpital de Bardaï, fin 1973. Ils mitraillent d'emblée les deux officiers tchadiens de la garnison qui sont invités à manger, tuant aussi la femme du Dr Staewen. Dans le même temps, un autre groupe s'empare de Marc Combe, chef d'antenne de la Mission de réforme administrative (MRA), et de Françoise Claustre, archéologue. Françoise Claustre est chargée de recherches au CNRS et vient de terminer ses fouilles au nord de Koro Toro ; le préfet de Faya lui a permis de se rendre à Bardaï, où elle ne doit rester que quelques jours pour fouiller les trois tombes que le Dr Staewen lui a signalées près de son infirmerie. Elle est l'épouse du directeur de la MRA. Personne ne s'occupera de M. Koch, un chercheur allemand, dont la présence est peut-être ignorée.

Le lendemain, Hissène Habré, par un communiqué radio, exprime ses regrets au peuple allemand quant à la mort de la femme du Dr Staewen et fait savoir que toute riposte aérienne mettrait en danger la vie des otages. Il exige aussi que ce communiqué soit passé sur France Inter et Radio Cologne, afin de faire connaître internationalement le Frolinat. C'est fait le 10 mai, et Hissène Habré en profite pour formuler ses revendications : la libération de 32 détenus politiques, la publication d'un manifeste politique, le dédommagement des biens de la population détruits et pillés lors des interventions militaires de l'armée régulière. Le 4 juin, la compagnie française de parachutistes de Sarh organise un coup de filet contre la famille de Hissène Habré à Faya : ses parents, ainsi qu'une soixantaine de membres de sa tribu sont arrêtés, dont le sort ne dépendra que de lui, comme le souligna la presse tchadienne.

Le 10 juin, le Dr Staewen est libéré contre rançon. Cette négociation directe avec les rebelles marquera la rupture des relations diplomatiques du président Tombalbaye avec Bonn ; de même, Pierre Claustre, qui a rejoint Paris pour tenter d'intervenir directement auprès du gouvernement, est interdit de séjour sur le territoire tchadien. Le 15 juin, le commandant Pierre Galopin est désigné comme négociateur aux côtés du consul général de France, à la demande du président Tombalbaye, car Galopin connaît personnellement Goukouni Oueddeï. Les 3, 6 et 11 juillet, les deux négociateurs prennent contact avec les rebelles ; mais le 4 août, le commandant Galopin est retenu à Zouï. Pour la première fois, Hissène Habré demande en plus des armes. Le gouvernement français, qui soutient militairement le régime en place, ne peut accepter. Le 25 septembre, le commandant Galopin est traduit devant un tribunal populaire et jugé au nom de l'intervention militaire française au Tibesti. On menace de l'exécuter dans le cas où les négociations avec Paris seraient interrompues. Fin septembre 1974, Hissène Habré demande l'ouverture de négociations en vue de la réconciliation nationale et remet même deux personnalités tchadiennes prisonnières en gage de sa bonne volonté. Il indique que si les négociations aboutissent, les otages seront libérés. Mais les négociateurs, envoyés par le président Tombalbaye, sont jugés trop peu sérieux et sont renvoyés. Les négociations sont suspendues.

Le 2 avril 1975, Hissène Habré fait savoir que le commandant Galopin sera exécuté le surlendemain si la France n'envoie pas les armes. En l'absence de réponse, la menace est mise à exécution et le commandant Galopin meurt - courageusement, selon les Toubou - dans des conditions atroces. Le 13 avril, le président Tombalbaye est assassiné et le CSM prend le pouvoir. Le 22 mai, Marc Combe s'évade. Hissène Habré négocie avec le nouvel émissaire, Stéphane Hessel, et avec Pierre Claustre, qui intervient à titre personnel. Le 27 août, après l'échec de ces longues et infructueuses négociations, Hissène Habré lance un ultimatum au général Malloum : le 16 septembre, les revendications doivent avoir abouti, sinon Françoise Claustre sera fusillée. Son mari part alors pour Bardaï, où il est à son tour fait prisonnier. Le préfet Morel, qui a connu Hissène Habré en France, est envoyé au Tibesti afin de payer une rançon de 10 millions de francs. Françoise Claustre ne sera ni fusillée ni libérée. Ne parvenant pas à obtenir des armes avec cet argent, Hissène Habré attaque la garnison de Faya le 17 février 1976. Les répressions qui seront exercées ensuite sur la population, accusée d'aider Hissène Habré, feront de nombreuses victimes.

En juin 1976, une patrouille libyenne qui pénètre au Tibesti se heurte aux combattants d'Hissène Habré. Ces derniers font sept prisonniers. Goukouni Oueddeï, qui se trouve alors à Tripoli, parvient néanmoins à faire libérer les prisonniers. Dès lors, les relations avec le colonel Kadhafi seront un sujet de discorde entre Hissène Habré et Goukouni Oueddeï. Hissène Habré doit quitter le Tibesti le 18 septembre 1976, le CCFAN l'ayant destitué à la majorité de 10 voix sur 14. Il se réfugie dans le sud de l'Ennedi, sa région natale, puis au Soudan.

Goukouni Oueddeï veut depuis longtemps libérer le couple sans condition, profondément marqué par le courage et le comportement digne de Françoise Claustre. En janvier 1977, il remet les Claustre au colonel Kadhafi, qui les confie à l'envoyé de l'Elysée. Françoise Claustre a passé plus de 1 000 jours en détention...

Le GUNT de Goukouni Oueddeï (1979-1982)

Il est né le 10 novembre 1979, à la suite d'une conférence de réconciliation à Lagos, au Nigeria. Son président est Goukouni Oueddeï ; son vice-président, Kamougué. A la Défense, on retrouve Hissène Habré ; à l'Intérieur, Mahamat Abba Saïd ; aux Affaires étrangères, Acyl Ahmat Akhabach. Des mésententes persistent toutefois autour de la laïcité de l'Etat. La deuxième bataille de N'Djamena a lieu le 21 mars 1980 entre les FAN de Hissène Habré et le GUNT dirigé par Goukouni Oueddeï. Ce dernier demande alors l'aide libyenne, ce qui permet de repousser Hissène Habré jusque dans l'Est et au Soudan. En échange, les frontières sont ouvertes aux Libyens, ce que désapprouve le général Kamougué. Les troupes libyennes doivent donc se retirer, laissant à Abéché un important dépôt d'armes. Hissène Habré s'en empare et en profite pour marcher sur la capitale, secrètement aidé par la France. Goukouni Oueddeï tente bien, en catastrophe, de créer un nouveau Conseil d'Etat présidé par le général Kamougué, mais le 7 juin 1982 Hissène Habré entre à N'Djamena, alors que son rival s'enfuit au Cameroun.

PÉRIODE D’HISSÈNE HABRÉ : UNE DICTATURE DE FER ET DE SANG (1982-1990)

Le 29 septembre 1982, Hissène Habré promulgue l'Acte fondamental de la République, qui fait du Tchad une république laïque indivisible.

Le 18 octobre 1982, la troisième République est proclamée. Le 21 octobre, Hissène Habré devient le nouveau président.

Pacification sanglante du territoire

Le 3 juin 1982, une révolte contre le général Kamougué éclate à Moundou. Les insurgés, vaincus, se rallient à Hissène Habré. Partis pour N'Djamena, ils redescendent dans le Sud, aidés des FAN, pour mater les nids de résistance. Les commandos du Sud (Codos) prennent alors le maquis sous la houlette du colonel Kotiga. Pour la première fois, un mouvement de lutte armée se propage dans le Sud. Devant l'ampleur des massacres, la population fuit massivement vers la République centrafricaine.

De même, la révolte des Hadjeray, les anciens alliés de Hissène Habré, est brutalement matée.

Conduisant personnellement ces répressions d'une main de fer, on découvre un Zaghawa, Idriss Déby.

Réfugié dans le Tibesti, Goukouni Oueddeï crée l'Armée nationale de libération (ANL) dirigée par le général Négué Djogo. L'ANL reconquiert Faya, Ounianga Kébir et Abéché avec l'aide libyenne. Hissène Habré fait alors appel à la France, qui lance l'opération Manta en août 1983. Un détachement de 3 000 hommes crée un cordon de sécurité le long du 16e parallèle et lance un raid contre l'aéroport d'Ouadi Doum, qui sert aux rebelles de base d'approvisionnement en matériel. L'ANL se replie vers le nord.

Le 7 juin 1984, les FAN sont dissoutes pour devenir l'Union nationale pour l'indépendance et la révolution (UNIR). Le 17 septembre 1984, un accord franco-libyen est signé. Il prévoit le retrait simultané et mutuel des troupes au Tchad. En 1985, une tentative de réconciliation nationale est esquissée et les Codos sont appelés à intégrer l'armée régulière.

Guerre tchado-libyenne

En 1986, les combats reprennent dans le Nord. Le dispositif Epervier est mis en place par l'armée française. Cependant, des divergences entre la Libye et Goukouni Oueddeï affaiblissent les positions de ce dernier. Certains rebelles se rallient au parti gouvernemental, dont le général Kamougué, qui devient ministre de l'Agriculture !

En 1987, Hissène Habré se sent alors assez fort pour repousser les Libyens qui occupent le Nord tchadien. Lors d'une série d'audacieuses offensives dirigées par Hassan Djamous et Idriss Déby, il reprend la bande d'Aozou, pénétrant même jusque dans le territoire libyen, où il détruit la base de Maaten-es-Sarra. Le colonel Khadafi étant humilié et ayant essuyé de lourdes pertes matérielles et humaines reconnaît alors Hissène Habré comme chef d'Etat et accepte d'entamer des négociations à propos de la bande d'Aozou.

Le régime instauré par Hissène Habré est un régime de terreur. Le parti unique, l'UNIR, contrôle tout, par l'intermédiaire de sa police secrète. Tout individu qui s'oppose, ou peut s'opposer, au régime est incarcéré, torturé et éliminé.

Renversement d’une dictature… par une autre un peu plus discrète

En 1989, alors que Hissène Habré amorce un rapprochement avec les Etats-Unis contre la France, son ancienne alliée, il est abandonné par Idriss Déby, l'un des deux héros de la guerre contre la Libye. Celui-ci est accusé de comploter contre Hissène Habré avec son ethnie zaghawa. En avril 1989, Hissène Habré lance une opération contre les Zaghawa et Idriss Déby se replie au Soudan. Là, il forme des troupes zaghawa, soutenu par les services secrets français ainsi que par la Libye. Le 11 mars 1990, plusieurs partis clandestins se réunissent à Bamina et fondent le Mouvement patriotique du salut (MPS). Idriss Déby quitte alors sa retraite soudanaise et lance l'opération Rezzou : il engage la bataille dans le Ouaddaï. Les troupes gouvernementales essuient alors défaite sur défaite. Idriss Déby - accompagné de Maldoum Abbas, le chef des Hadjeray qui avaient été massacrés - entame sa marche sur N'Djamena, comme Hissène Habré en 1982. Le 1er décembre 1990, il entre dans la capitale, protégé par l'armée française sans avoir rencontré de résistance ; la veille, Hissène Habré a traversé le Chari muni d'un passeport zaïrois et des devises étrangères du pays. Il vient d'ordonner l'exécution de 300 prisonniers politiques et laisse derrière lui 40 000 morts...

Le procès d'Hissène Habré

Le 30 mai 2016 marqua l'épilogue de l'affaire Habré, un feuilleton judiciaire à rebondissements, qui se conclut par la condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité de l'ancien dictateur tchadien, reconnu coupable de viols, de crimes contre l'humanité et de torture. Hissène Habré a été le premier ex-chef d'Etat africain à être condamné en Afrique par une juridiction africaine. L'affaire Habré a débuté dès sa fuite au Sénégal, en décembre 1990, avec la mise en place d'une Commission nationale d'enquête sur les crimes perpétrés par l'ex-président et ses complices. En mai 1992, la Commission publie un rapport accablant : quelque 40 000 individus seraient morts en détention ou exécutés extrajudiciairement entre 1982 et 1990. Durant les premières semaines de l'année 2000, il est inculpé pour complicité de tortures, actes de barbarie et crimes contre l'humanité suite à une plainte déposée, à Dakar, par des victimes tchadiennes soutenues par des associations de défense des droits de l'homme. Le 4 juillet, la Cour d'appel de Dakar, auprès de laquelle une requête en annulation avait été déposée par les avocats de Habré, déclare que les tribunaux sénégalais sont incompétents car les crimes auraient été commis hors des frontières du Sénégal. La Cour de cassation sénégalaise ira dans le même sens, en mars 2001. Toutefois, des victimes tchadiennes vivant en Belgique portent plainte contre Habré, à Bruxelles. Quatre années d'instruction plus tard, un juge belge délivre un mandat d'arrêt international contre Habré et réclame son extradition vers la Belgique. Les autorités sénégalaises arrêtent donc Habré, mais l'affaire connaît une énième péripétie puisque la Cour d'appel de Dakar se déclare incompétente pour statuer sur la demande d'extradition ; Hissène Habré est ainsi remis en liberté. En juillet 2006, un comité de juristes africains, commissionné par l'Union africaine, estime que le Sénégal doit juger l'ex-président tchadien au " nom de l'Afrique ". Il faudra cependant attendre l'élection de Macky Sall à la présidence du Sénégal, en 2012, pour que soient créées des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises. Le 2 juillet 2013, Hissène Habré est de nouveau inculpé et, deux ans plus tard, son procès s'ouvre à Dakar. Ce dernier est clôturé en février 2016, trois mois et demi avant que ne tombe le verdict. Il aura donc fallu plus de seize ans de procédures et d'arguties judiciaires pour aboutir à la condamnation de Habré.

LE RÈGNE D’IDRISS DEBY (1990)
Un simulacre de détente et de démocratie

En remerciement du soutien libyen, le premier geste d'Idriss Déby sera de relâcher les prisonniers libyens qui pourrissent dans les geôles tchadiennes depuis les combats qui ont eu lieu dans la bande d'Aozou, en 1986-1987.

Le 4 décembre 1990, le nouvel homme fort du Tchad proclame la liberté et la démocratie.

En 1991, pour la première fois dans l'histoire des républiques tchadiennes, le multipartisme est toléré. On enregistrera immédiatement une quarantaine de partis.

Du 15 janvier au 7 avril 1993, la Conférence nationale souveraine a lieu. Elle associe tous les pouvoirs publics, politico-militaires, socioculturels et les associations de défense des droits de l'homme dans un grand élan de fraternité. Goukouni Oueddeï s'est même déplacé depuis son exil algérien. Une Charte de transition est adoptée, prévoyant l'élection d'un Premier ministre et la constitution d'un Conseil supérieur de transition, un parlement provisoire.

Lors de cette conférence, François Tombalbaye est réhabilité ; son cadavre est déterré de Faya et remis à son village natal.

En trois ans, le Tchad connaîtra trois Premiers ministres, trois présidents du Conseil supérieur de transition et plus de 150 ministres. La précarité de cette situation débouche vite sur un climat général de suspicion. Des voix s'élèvent pour la tenue d'élections, des grèves de la fonction publique ont lieu... A Franceville, au Gabon, une tentative de conciliation est esquissée. Elle échoue devant l'ampleur des conflits.

Le 1er décembre 1994, une amnistie générale est accordée en faveur des détenus et exilés politiques, à l'exception d'une seule personne : Hissène Habré.

Le 31 mars 1996, la nouvelle Constitution, instaurant le multipartisme, est approuvée par référendum à 61,46 %.

Le 2 juin 1996, des élections présidentielles ont lieu sur le mode du suffrage universel, pour la première fois depuis l'indépendance, avec plusieurs candidats. Au premier tour, Idriss Déby remporte 47,86 % des suffrages ; le général Kamougué, 11,08 % ; Saleh Kebzabo, 8,53 % ; Alingué Jean Bawoyeu, 8 %. Idriss Déby sort vainqueur du deuxième tour, tenu le 3 juillet, avec 62 % des voix. Le taux de participation annoncé par le N'Djamena Hebdo du 6 juillet 1996 est de 76,05 %. Idriss Déby veut instaurer une démocratie participative consensuelle, sa démarche visant à " adapter la démocratie dans le sens occidental du terme aux réalités socioculturelles africaines, qui rejettent toute forme d'exclusion ".

Le 21 mars 1997, les élections législatives donnent une majorité absolue au MPS, avec 63 sièges sur 125.

Une vie démocratique se profile enfin, avec des partis politiques, l'émergence d'une presse relativement libre (même si des journalistes sont menacés et parfois emprisonnés), la création de syndicats comme l'Union des syndicats du Tchad (UST), la Confédération libre des travailleurs du Tchad (CLTT) ou le Syndicat des enseignants du Tchad (SET), et la naissance de multiples associations comme la Ligue tchadienne des droits de l'homme.

Mais le 22 novembre 1998, on apprend par un communiqué gouvernemental l'hospitalisation d'Idriss Déby en Arabie Saoudite, à la suite d'une colopathie et d'un refroidissement. Dans un pays où les bulletins de santé du président ne sont jamais rendus publics, la nouvelle étonne et ouvre la voie à toutes les suppositions quant à la véritable maladie du président.

Concomitamment, sous l'égide de Youssouf Togoïmi, plusieurs fois ministre depuis 1990, de nouveaux rebelles reprennent la lutte armée dans le Tibesti. Courant 1999, Youssouf Togoïmi annonce même qu'il sera à N'Djamena avant décembre. En décembre 1999, il prend d'ailleurs Aozou et se dirige vers Bardaï. La véritable ampleur de l'avancée rebelle reste inconnue, car les médias et le chef de l'Etat ne reconnaissent pas l'existence d'un conflit dans le Tibesti. Le 13 décembre 1999, on assiste à un renversement du gouvernement ; le Premier ministre sortant est du Sud. Il s'appelle Nagoum Yamassoum et remplace Nassour Ouaido. Le défilé de Premiers ministres continue encore aujourd'hui, faisant du Tchad le seul pays en Afrique à changer de Premier ministre comme on change de chemise. Durant ses plus de 25 années de règne, Idriss Déby a nommé plus de quinze Premiers ministres et des centaines de ministres ! Dans le Tchad d'Idriss Déby, on est nommé ministre pour moins de deux ans et président en mandat illimité.

Des changements officiels mais pas officieux

Au sein du MPS, les dissensions ont vite éclaté : Maldoum Abbas, ministre de l'Intérieur et vice-président du MPS, est arrêté le 13 octobre 1991 pour tentative de coup d'Etat. Il sera relâché en janvier 1992 et propulsé à la présidence du Conseil de la République.

En février 1992, Joseph Béhidi, vice-président de la Ligue tchadienne des droits de l'homme, est assassiné.

En juin 1992, Abbas Koty, chef d'état-major, quitte N'Djamena pour se réfugier au Cameroun avec ses hommes. Il est assassiné à son retour, en octobre 1993, par les membres de la garde républicaine.

Les massacres dans le Guéra, ainsi que dans l'est et le sud-ouest du pays, se poursuivent et les opposants sont traqués : Bisso Mamadou est aussi assassiné en 1992.

La répression dans le Sud contre les Codos continue alors même que se déroule la Conférence nationale souveraine. En effet, les Sudistes voient toujours dans l'actuel président l'ancien homme de main de Hissène Habré, qui est personnellement venu diriger les massacres lors des répressions de 1983.

Entre octobre 1997 et mai 1998, à Moundou, les opérations de répression contre les Forces armées pour la République fédérale (FARF) de Laokein Bardé, ont fait près de 200 victimes, dont leur chef.

Fin 1998, Idriss Déby envoie en République démocratique du Congo un contingent mal équipé ; les morts sont, selon lui, imputables aux serpents et au paludisme. Cette intervention, qui contrevient au principe fondateur de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), à savoir la non-ingérence, soulève de nombreuses contestations dans le pays.

La garde présidentielle zaghawa, l'Agence nationale pour la sécurité (ANS), véritable police politique, remplace l'ancienne garde daza, la DDS (Direction de la documentation et de la sécurité) de Hissène Habré, en tant que force majeure de répression du pays. Les mêmes arrestations arbitraires, assassinats politiques, tortures sont perpétrées, mais de manière détournée...

Ibni Oumar Mahamat Saleh, qui fut plusieurs fois ministre et recteur de l'université de N'Djamena, représentait le Parti pour les libertés et le développement et était le porte-parole de la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution. En février 2008, il a été enlevé à son domicile par les forces de l'armée tchadienne et a probablement été tué en détention dans des conditions encore non élucidées. En 2010, c'est Abdelmanane Kharachi, l'ex-conseiller du président Déby, que l'on retrouve mort à l'hôpital de N'Djamena, après plusieurs menaces de mort provenant du pouvoir.

LE TCHAD AUJOURD'HUI

Le président de la République a été réélu en 2001, 2006, 2011 et 2016 pour des mandats de cinq ans. Le Premier ministre actuel est, depuis le 13 février 2016, Albert Pahimi Padacké, qui obtint cinq fois un portefeuille de ministre depuis l'arrivée au pouvoir d'Idriss Déby en 1990. On assiste encore et toujours à une ronde de ministres, avec des remaniements annuels très fréquents. L'Etat tchadien n'a guère entrepris la nécessaire diversification de son économie que la manne pétrolière devrait rendre possible ; au contraire, l'Etat s'est de plus en plus reposé sur la rente du pétrole devenant ipso facto tributaire des cours mondiaux du baril. Ainsi, la faiblesse de la cotation du brut en 2015 et 2016 a fortement obéré l'économie tchadienne entraînant l'application de mesures drastiques d'austérité de la part du pouvoir et la grogne de la population (grève des fonctionnaires), suite à de nombreux impayés et aux coupes budgétaires.

Du point de vue administratif, le pays est divisé en 23 régions depuis septembre 2012, elles-mêmes découpées en départements, en sous-préfectures et en cantons.

L’opposition

Une opposition politique légale, souvent marquée par l'ethnicité et le régionalisme, existe effectivement depuis le début des années 1990, avec de très nombreux partis d'opposition. Toutefois, les têtes de parti ont souvent été arrêtées, emprisonnées (pour raison de droit commun, car il n'existe aucun prisonnier politique au Tchad, selon les dires du président de la République) ou exécutées. L'établissement d'une typologie précise de la scène politique tchadienne est extrêmement complexe dans la mesure où la plupart des partis sont traversés par des tendances diverses engendrant incessamment des frictions, des scissions, des ruptures et des recompositions au gré des intérêts, pour ne pas dire l'opportunisme, de leurs dirigeants ou de la conjoncture sociale, économique et politique.

L'opposition au MPS, parti fondé en mars 1990 par Idriss Déby et majoritaire à l'Assemblée nationale depuis 1997, est donc difficile à définir puisque le parti d'opposition d'hier peut devenir parti de gouvernement aujourd'hui et vice-versa. Citons, toutefois, l'UNDR (Union nationale pour le développement et le renouveau) du journaliste et ex-ministre Saleh Kebzabo, qui est la principale force d'opposition parlementaire. Ce parti est l'une des composantes de la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC), une coalition créée en 2005 pour protester contre la réforme constitutionnelle levant la limitation des mandats présidentiels. La composition et l'orientation du CPDC sont fluctuantes : ainsi, le RDP (Rassemblement pour la démocratie et le progrès) de Lol Mahamat Choua, chef éphémère du gouvernement tchadien en 1979, s'est rallié au MPS depuis le début de la décennie. Outre l'UNDR, la Fédération action pour la République (FAR) de Ngarléjy Yorongar constitue l'opposition politique historique au MPS et à Idriss Déby.

L'opposition peut également passer par la lutte armée. Dans le sud-ouest du pays, le mécontentement de la population a parfois pris la forme de mouvements rebelles, à l'instar du Comité de sursaut national pour la paix et la démocratie (CSNPD), qui a déclenché une rébellion, vite réprimée, dans les deux Logone entre 1992 et 1994, ou des FARF de Laokein Bardé. Dans les environs du lac Tchad, l'opposition politico-militaire s'est surtout exprimée en 1991-1992 par le truchement du MDD (Mouvement pour la démocratie et le développement), qui regroupait d'anciens partisans d'Hissène Habré. Le Nord, avec le MDJT de Youssouf Togoïmi, a également connu une phase insurrectionnelle à la charnière des XXe et XXIe siècles. L'Est, enfin, a connu, au milieu des années 2000, une rébellion entretenue, entre autres, par le FUC (Front uni pour le changement) et le SCUD (Socle pour le changement, l'unité nationale et la démocratie).

Les rébellions ont, depuis le début des années 2010, été réduites à la portion congrue ou totalement éradiquées. Toutefois, l'éternel jeu de chaises musicales auquel s'adonne une poignée de militaires pour obtenir le pouvoir n'est sans doute que temporairement mis en sourdine. Il peut reprendre à tout moment suite à des luttes intestines au sein de l'appareil militaire ou du MPS, ou à la faveur d'une crise économique... Dans un pays où la misère sévit, il est plus facile de gagner sa vie avec une kalachnikov qu'avec une houe ou un chameau...

Conflit Nord-Sud : mythe ou réalité ?

Avec la naissance de la rébellion armée en 1966, l'instabilité politique, devenue quasi institutionnelle, a atteint son apogée lors de l'éclatement de la guerre civile de 1979. D'aucuns prétendent que l'origine de ces conflits est à chercher dans une incompatibilité Nord-Sud.

Le Nord est islamisé depuis la fin du XIe siècle (mais l'essor d'un islam plus radical ne date que des 40 dernières années) et bien organisé. Les Nordistes allaient régulièrement chercher des esclaves dans un Sud animiste, évangélisé au début du XXe siècle.

Ces rapports ont été inversés avec la colonisation : si le Nord a relativement réussi à se soustraire à la colonisation, le Sud a eu accès à l'éducation, à la monétarisation, à l'urbanisation et à l'administration. Les Nordistes ont donc été incapables d'entrer dans l'appareil administratif du nouvel Etat, lors de l'accession à l'indépendance. De nombreux Sudistes ont été et sont encore envoyés dans le Nord aux postes de l'administration et de l'enseignement, et ont souvent renforcé l'amertume des populations locales par leur gestion abusive et corrompue.

Les conflits ancestraux entre éleveurs nomades du Nord et agriculteurs du Sud sont exacerbés par la dégradation progressive du milieu. Auparavant, les paysans confiaient souvent leurs bêtes aux transhumants, en échange de mil, et laissaient les troupeaux pâturer dans les champs qu'ils fertilisaient. Maintenant, les paysans sont obligés d'aller chercher des champs de plus en plus loin du village pour laisser les terres se reposer en jachère, tandis que les troupeaux descendent de plus en plus au sud pour chercher des pâturages.

Enfin, le développement parallèle - depuis l'officialisation du bilinguisme franco-arabe en 1995 - d'écoles coraniques et d'écoles laïques avec des programmes scolaires différents risque de perpétuer une divergence de pensée dans les nouvelles générations.

La tenue de conférences au centre culturel Al Mouna de N'Djamena a mis en lumière l'existence d'un sentiment national fort malgré des modes de vie différents et a permis de rappeler la nécessité d'uniformiser les programmes d'éducation dans les écoles.

" La démocratie est sans doute comme le développement, elle doit être suscitée de l'intérieur pour avoir quelque chance de parvenir à maturité " (Claude Arditi, Pays du Sahel ", Autrement, n° 72, janvier 1994).

La crise du Darfour

La région troublée du Darfour ne fait plus guère la une des médias occidentaux, alors que les combats se poursuivent. Depuis 2010, N'Djamena et Khartoum se sont rapprochés permettant ainsi une relative pacification de l'est tchadien. Mais ce conflit, initialement cantonné sur le sol soudanais, fut sans doute celui qui fit le plus vaciller le régime d'Idriss Déby depuis son arrivée au pouvoir en 1990. La région du Darfour, dans l'ouest du Soudan, est ravagée (depuis février 2003) par un conflit économico-politique qui a provoqué la mort de plus de 310 000 personnes selon l'ONU, ou 100 000 " seulement " selon Khartoum. Ce climat a engendré un exode massif de près de 3 millions de réfugiés, notamment vers la région tchadienne du Ouaddaï. C'est sans conteste l'une des plus graves crises humanitaires de ce début de siècle.

D'une part, cette crise pose de nombreux problèmes de logistiques car il faut accueillir une population déplacée et sans ressources. Pour y faire face, le HCR et de nombreuses ONG gèrent pas moins de 12 camps (tout au long de la frontière commune) pour une population estimée, fin 2015, à 377 500 Soudanais. La situation entre les réfugiés et les locaux s'est vite crispée suite à l'augmentation du prix des céréales, à l'épuisement des ressources en bois de chauffage et au dessèchement des nappes phréatiques.

D'autre part, le conflit du Darfour a lourdement pesé sur les relations bilatérales entre N'Djamena et Khartoum, et ne manqua pas de provoquer des heurts au sein même du pouvoir tchadien. En effet, dès le début de la crise, Idriss Déby n'hésita pas à se présenter comme un médiateur impartial entre les rebelles du Darfour et Khartoum, multipliant les rencontres au sommet afin de négocier une paix durable. Mais sa position est inconfortable car plusieurs membres de sa famille et de son clan souhaiteraient activement aider les rebelles.

Dans la nuit du 16 au 17 mai 2004, la crise interne atteint son paroxysme lorsque des membres de sa garde rapprochée et de son clan (Zaghawa) tentent un coup d'Etat. S'ils sont écartés du pouvoir, les responsables ne seront pas arrêtés. Finalement le Tchad se retrouve doublement impliqué dans le conflit puisque le Soudan accuse les Zaghawa tchadiens d'aider la rébellion ; tandis que N'Djamena accuse Khartoum d'avoir armé quelques milliers de Tchadiens stationnés à 25 km de la frontière.

Ainsi la crise continue entre les deux pays. En avril 2006 des rebelles tchadiens parrainés par le Soudan tentent de prendre N'Djamena, la capitale, mais en vain ; en avril 2007 des troupes du Tchad poursuivent des rebelles tchadiens sur le territoire du Soudan. En février 2008 une nouvelle tentative de coup d'Etat frappe le Tchad : les putschistes étaient des rebelles basés au Soudan.

Février 2010 fit souffler un air de réconciliation entre les deux pays. La visite historique du président Idriss Déby à son homologue Omar el-Béchir, le 8 février à Khartoum, scella la normalisation des relations bilatérales soudano-tchadiennes. Le Darfour reste toutefois, comme il le fut déjà par le passé, une base de repli potentielle pour tout rebelle tchadien.

Les réfugiés soudanais

Le Tchad abrite, fin 2015, quelque 377 500 réfugiés soudanais, dont près d'un tiers serait arrivé lors de la seule année 2004. Durant cette année 2004, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a tenté de les déplacer dans des camps plus accessibles et dans des lieux plus éloignés de la frontière.

L'afflux massif de réfugiés, conjugué à la pauvreté de la population locale et à l'augmentation de l'insécurité causée par les attaques des milices, a été source de nombreuses tensions entre réfugiés et Tchadiens.

Relations extérieures

Le Tchad est situé au coeur d'une région géopolitiquement très instable. Au nord, la Libye est un foyer d'instabilité depuis 2011 et la chute du colonel Kadhafi. Idriss Déby semble avoir été assez proche du " guide de la Révolution ", qui l'avait aidé au moment de sa prise de pouvoir, bien que quelques personnalités notoires de l'opposition aient été reçues à Tripoli, comme Adoum Togoï. Le Tchad est ainsi membre de la Cen-Sad (Communauté des États sahélo-sahariens), une organisation qui a vu le jour en 1998 à l'initiative de Kadhafi. Aujourd'hui, N'Djamena tente de retisser des liens avec le gouvernement d'union nationale et des interlocuteurs fiables et légitimes, tout en essayant de redynamiser la Cen-Sad, tombée dans une profonde léthargie depuis le début de la crise libyenne. Le chaos politique qui règne chez son voisin du nord fait toutefois craindre l'incursion de djihadistes et la perpétuation des trafics illicites dans la très poreuse zone frontalière septentrionale.

Sur le flanc ouest, le groupe islamiste radical Boko Haram constitue la plus grande menace actuelle sur le plan sécuritaire. Cette organisation a commis des exactions (pillages, attaques ciblées meurtrières...) sur les rives et îles tchadiennes du lac Tchad, ainsi qu'au nord de cette étendue d'eau, sur la frontière nigéro-tchadienne, depuis 2015, N'Djamena a également été touchée au coeur par deux attentats-suicides perpétrés par des membres de Boko Haram le 15 juin 2015 (38 morts, 101 blessés) et, moins d'un mois plus tard, le 11 juillet (15 morts, 80 blessés). Ces attaques s'apparentent à des représailles dans la mesure où le Tchad s'est engagé dans la lutte contre les organisations djihadistes qui écument la bande sahélienne (AQMI, Boko Haram...) en étant cofondateur, en février 2014, du G5 Sahel, un cadre de coopération militaro-sécuritaire regroupant, outre le Tchad, le Niger, le Mali, le Burkina Faso et la Mauritanie. De plus, N'Djamena accueille le poste de commandement interarmées de l'opération Barkhane, dont le but est de lutter contre le terrorisme dans la sous-région. Cette opération de l'armée française, qui a succédé à l'opération Epervier le 1er août 2014, place le Tchad au centre du jeu stratégique et militaire régional.

Au sud, l'instabilité chronique qui règne en République centrafricaine, traduite par plusieurs phases de guerre civile depuis 2004, a des répercussions au Tchad. Le gouvernement tchadien et la population tchadienne résidant en RCA ont en effet été accusés de soutenir, à compter de 2012, une alliance de partis politiques et de groupes rebelles défavorable au président François Bozizé : la Seleka (désormais ex-Seleka). Les exactions commises par la Seleka à l'encontre des populations chrétiennes, majoritaires dans le pays, avant et après le renversement de Bozizé en mars 2013, ont engendré un conflit interconfessionnel et un fort ressentiment à l'égard des Tchadiens, qu'ils soient musulmans ou non. Au cours du mois de janvier 2014, la démission de Michel Djotodia, membre de la Seleka qui s'était autoproclamé président de la République en mars 2013, entraîne une nette dégradation de la situation sécuritaire des civils tchadiens. Les tueries menées contre ses ressortissants ont obligé les autorités tchadiennes à affréter camions et avions pour le rapatriement de 20 000 d'entre eux. Le nombre de " retournés " tchadiens est estimé à près de 65 000, dont la moitié vit dans des camps informels. La guerre civile a également entraîné l'exode de quelque 100 000 Centrafricains, dont 96 % sont assistés par le HCR dans des camps de réfugiés installés dans le sud du Tchad.

Assez paradoxalement, étant donné les vives tensions qui ont émaillé les relations entre le Tchad et le Soudan durant les années 2000, la frontière orientale du pays est désormais la plus sûre. Néanmoins, le Darfour constitue toujours un refuge potentiel pour les rebelles tchadiens.

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