Leitfaden Sudan : Politique et économie
Les Soudanais adorent parler de politique. Avec l'ouverture démocratique découlant de la conclusion de l'Accord de Paix en 2005, ils ont pu exercer leur sens de la critique et du débat. Il est vrai qu'il y a de quoi dire et de quoi faire !
En avril 2010, s'est tenu le premier scrutin libre et multipartite du pays depuis 1986. Un recensement difficile avait eu lieu les deux années précédentes pour établir les listes électorales. Au Soudan, les électeurs sont les nationaux, hommes ou femmes de plus de 18 ans, jouissant de leurs droits civiques et inscrits sur les listes électorales.
Le président de la République est le plus haut dirigeant de l'Etat et le principal détenteur de l'autorité dans le pays. Il nomme le gouvernement qui prête serment et est responsable devant lui. Le président est le garant de la Constitution et de la souveraineté nationales. Le chef de l'Etat est également le chef du gouvernement depuis la suppression du poste de Premier Ministre, en 1989. Depuis 2005, il est élu par le peuple soudanais pour cinq ans, renouvelables une fois. Il doit être âgé de plus de 40 ans. Il peut théoriquement être révoqué par le Parlement, mais n'est pas responsable politiquement devant lui. Actuellement, le président de la République est Omar Hassan al-Bashir. Il est entouré de deux vice-présidents, Ali Osman Taha (NCP) et Salva Kiir (SPLM), également président du gouvernement autonome du Sud-Soudan. Au pouvoir depuis 1989, Al-Bashir a été élu dans le cadre de cette constitution pour la première fois en avril 2010.
L'Assemblée nationale de la république du Soudan est chargée de l'initiation, de la discussion et de l'approbation des lois. Elle peut bloquer les décisions du gouvernement et, théoriquement, le destituer. Les députés sont élus par le peuple soudanais pour quatre ans. Selon la constitution de 2005, 25 % des sièges de l'Assemblée sont réservés à des femmes. En mai 2010, l'Assemblée était largement dominée par les députés du NCP dans le Nord, alors que le SPLM dominait dans le Sud.
La Haute Autorité judiciaire est censée être indépendante mais répond de ses activités au seul président de la République. Elle joue le rôle de Conseil d'Etat. En gros, le système judiciaire comporte une Haute Cour fédérale, des cours d'appel et des tribunaux de première instance. Les juges sont nommés par leurs pairs et ne peuvent être révoqués que par eux. La Cour constitutionnelle juge, quant à elle, de la conformité des lois avec les principes de la Constitution.
Le Soudan est désormais un Etat décentralisé, même si, dans les décisions prises en province, le poids de Khartoum et de Juba pèse fortement. Le pays est divisé en 25 Etats fédéraux (15 au nord, 10 au sud), qui possèdent leur propre Parlement, leur gouvernement et leur gouverneur, et abrite une région à statut autonome étendu : le Sud-Soudan. Les Assemblées législatives ainsi que les gouverneurs sont élus par le corps électoral de chaque Etat. Le schéma de décision et les relations entre les pouvoirs sont les mêmes qu'au niveau fédéral. Le gouverneur de l'Etat est toutefois responsable devant le président de la République. En juin 2010, tous les gouverneurs du Nord étaient issus du NCP, sauf celui du Nil Bleu, issu du SPLM. Tous ceux du Sud étaient du SPLM, sauf celui de l'Equatoria de l'Ouest, dissident du SPLM étiqueté indépendant.
Le Soudan a vécu au rythme des coups d'Etat et des dictatures militaires. Le régime de parti unique a largement dominé, en dépit de brèves périodes multipartites.
Les plus anciens partis politiques soudanais sont nés des mouvements confrériques des Ansars mahdistes et de la Khatmiyah. En 1945, les mahdistes forment le parti Umma (la "communauté", référence coranique). Dix ans plus tard, leurs rivaux fondent également leur branche politique : le Parti démocratique du peuple (PDP). Ce dernier fusionnera, à la fin des années 1960, avec le Parti de l'unité nationale (NUP) de la confrérie Ismailiya, au pouvoir à l'indépendance, pour former le Parti de l'union démocratique (DUP). Le DUP et l'Umma sont historiquement vus comme les seuls grands partis à vocation démocratique du Soudan. Ils existent toujours mais ont subi des divisions internes qui ont débouché à la création de nouveaux petits partis revendiquant l'héritage véritable des idéaux de leurs ancêtres. Le DUP est dirigé par Osman al-Mirghani, descendant du fondateur de la Khatmiyah ; l'Umma par Sadiq al-Mahdi, arrière-petit-fils du Mahdi. Particulièrement influent à l'aube de l'ère Nimeiry, le Parti communiste soudanais fut en fait l'un des plus puissants du monde arabe. Il est toutefois devenu marginal de nos jours, tout comme le Parti socialiste. A l'est, le Congrès béja s'est allié aux Free Lions Rasheida pour représenter les intérêts de l'est du pays sous l'étiquette du Front de l'Est.
En 1989, la coalition des forces islamistes inspirée par Hassan Tourabi, leader des Frères Musulmans soudanais, prend le pouvoir sous les couleurs du Front national islamique (NIF). En 1998, le parti au pouvoir devient le Parti du Congrès national (Hizb al-mou'tamar al-watani, NCP). Mais il subit une dissidence après la mise à l'écart de Tourabi, en 2000. Celui-ci crée alors le Parti du Congrès du peuple (PCP), toujours actif dans la critique du pouvoir.
Depuis 2005 et la signature du CPA, la transition politique a permis l'ouverture du jeu politique et la plus libre expression des voix de l'opposition. Après les élections de 2010, la scène politique a largement révélé la mainmise des deux partenaires de la paix sur la scène politique : le NCP au nord et le Mouvement de libération du peuple du Soudan (SPLM) au sud. Dans le Nord, les partis traditionnels ont été marginalisés. Dans le Sud, l'opposition est étranglée par le SPLM dans la perspective du référendum de 2011. Le principal mouvement politique d'opposition au sud est un parti dissident du SPLM, le SPLM pour un changement démocratique (SPLM-DC), mené par Lam Akol, ancien ministre des Affaires étrangères.
Ils sont nombreux ! Pour le plus vaste pays d'Afrique, qui a connu la plus longue guerre civile du continent, il est important de tourner la page du cycle de la guerre et de l'instabilité. C'est l'image qu'ont voulu montrer les autorités avec la tenue des élections d'avril 2010. Prévues par le CPA, elles n'étaient à la base pas vraiment désirées par Khartoum, mais ont été imposées par les Occidentaux qui pensaient qu'elles donneraient au pays un visage plus policé de démocratie et permettraient une répétition générale avant le vrai grand moment : le référendum d'autodétermination du Sud-Soudan. Les élections se sont déroulées sans violences - ce qui remarquable en soi - mais ont été entachées de fraudes, matériellement mal préparées et ont fini par être boycottées par une partie de l'opposition. La façade démocratique a donc souffert, mais l'aspect sécuritaire a été préservé.
A la lumière de ces élections et dans l'attente du référendum dans le Sud, en 2011, on peut évoquer quelques craintes quant aux effets qui pourraient s'ensuivre. D'abord, la campagne électorale a permis une ouverture inédite de la liberté d'expression et de la liberté de presse, qui a ensuite donné des signes de fermeture après la publication des résultats. Le défi sera de préserver cet espace démocratique de débat dans l'avenir. Car les résultats du référendum pourraient générer un regain d'autoritarisme et les esprits pourraient s'échauffer. Un deuxième défi sera donc la cohésion de l'Etat et de la société soudanaise, très probablement remise en question dans le cas d'une indépendance sud-soudanaise. Le Darfour mais peut-être aussi l'est du pays pourraient renforcer leurs velléités d'autonomie, voire d'indépendance. La forte présence de sudistes dans le Nord pose aussi la question de leur devenir. La place de la religion serait à discuter. L'image d'une séparation entre un Nord musulman et un Sud chrétien soutenu par les puissances occidentales serait susceptible d'attiser l'islamisme. Dans le processus visant à "rendre l'unité du Soudan attractive", tel que prévu par le CPA, le SPLM a exigé, pour promouvoir l'unité ou la renforcer après un éventuel choix favorable à celle-ci en 2011, d'abroger la sharia dans tout le pays. Une mesure refusée par le NCP. Le dernier défi donc dans la gestion de la crise sud-soudanaise pourrait être la question du multipartisme. De facto, les élections de 2010 ont avalisé la fracture Nord-Sud. D'un Etat bipartite on pourrait bien arriver en cas de séparation à deux Etats à parti unique. Pas forcément un progrès pour la démocratie dans la région...
Si la stabilité est maintenue en 2011, l'heure sera propice pour mettre un terme définitif au conflit au Darfour. L'amélioration des relations avec les pays étrangers pourrait se poursuivre et l'embargo économique s'alléger. La grosse pierre dans le jardin de la diplomatie soudanaise a de bonnes chances de rester la Cour pénale internationale. Il semble en effet peu probable que les choses aillent dans le bon sens dans les toutes prochaines années. La coopération, y compris l'aide humanitaire, est en partie liée pour les pays occidentaux au comportement du Soudan vis-à-vis de la CPI. La Chine ne fait, elle, pas tant de chichis...
Le sud de l'actuel Soudan a vécu une histoire largement séparée de celle du nord jusqu'à la colonisation de la région au XIXe siècle. Durant le condominium, les Anglais ont fermé les zones du Sud (devenues des closed areas, "zones fermées") à l'influence du Nord et de l'Egypte. Les frontières actuelles du Soudan ont ensuite été fixées sous l'influence anglaise à la conférence de Juba en 1947, lors de laquelle le Sud a été marié au Nord, en partie pour donner des gages aux indépendantistes opposés à une union du Soudan à l'Egypte. On entérina ainsi la formation d'un Etat particulièrement vaste à la population hautement composite. La perspective de voir les musulmans imposer leur loi dans un Soudan indépendant exacerba les tensions entre communautés ethno-religieuses, les animistes et les chrétiens, minoritaires, initiant, en 1955, le conflit civil le plus durable d'Afrique. Les rebelles de l'Anyanya dirigé par Joseph Lagu, puis du South Sudan Liberation Mouvement (SSLM) revendiquèrent l'indépendance totale des populations non-arabes et non-musulmanes du Sud.
Il faudra attendre 1973 pour voir une première fois le gouvernement central de Khartoum accorder à la fois l'autonomie du Sud-Soudan et la voix de celui-ci au chapitre khartoumais. Les accords d'Addis- Abeba inaugurent une décennie de stabilité relative entre Nord et Sud. Mais, en 1983, la division du Sud en trois provinces distinctes et l'application unilatérale de la sharia, la loi islamique, replongent le pays dans la guerre. Pour autant, sous l'impulsion du SPLM de John Garang, la mouvance fédéraliste de la rébellion, favorable à l'autonomie au sein d'un Soudan unifié, prend le pas sur l'aile traditionnelle indépendantiste.
En 2005, est signé l'accord de paix et de coopération le plus complet depuis 1972 entre le gouvernement d'Omar el-Béchir et le SPLM. Il prévoit la tenue d'un référendum d'autodétermination du Sud-Soudan après 6 ans de fédéralisme. Le chef du gouvernement à Juba étant automatiquement le premier vice-président du Soudan, les parties s'engagent à promouvoir un scénario de réconciliation nationale. Mais l'accord reste critiqué comme une entente entre le NCP et le SPLM, excluant les autres forces politiques du processus. Les sensibilités favorables à l'indépendance s'appuient également sur la présence de l'essentiel du pétrole soudanais sur le territoire du Sud-Soudan, alors que les revenus de cette manne ne semblent encore bénéficier qu'à des élites, essentiellement à Khartoum.
Que les Sud-Soudanais choisissent ou non l'indépendance en 2011, le plus important est peut-être, pour tous les Soudanais, que le pays s'oriente définitivement vers la fin des violences.
Historiquement, après les revenus liés au commerce caravanier, le secteur primaire a été le plus important de l'économie soudanaise jusqu'à la fin du XXe siècle. Sur les rives du Nil, particulièrement en Nubie, les activités d'agriculture et d'élevage datent de la haute Antiquité. Les céréales et les fruits - dont les dattes - ont longtemps été les seules productions de la région. Au XIXe siècle, l'introduction de la culture du coton a placé le Soudan dans la filière textile internationale. La betterave à sucre est également une culture importante des dernières décennies. La Gezira est aujourd'hui la première zone de production agricole du pays. Le Kordofan est la première région productrice mondiale de gomme arabique, élément fondamental de nombreux produits cosmétiques et agroalimentaires. Le Soudan est également un gros producteur de viandes de boeuf et de mouton, ainsi qu'un pourvoyeur réputé de dromadaires.
La découverte du pétrole dans le sud du Soudan, alors en paix depuis 5 ans, date de 1978. Elle généra des tensions, qui ramenèrent la guerre civile dans le pays en 1983. Le régime chassa les entreprises américaines (cas de Chevron en 1985), dont le pays était accusé de soutenir la rébellion sudiste, et les autres ont été empêchées d'exploiter les concessions qui leur avaient été allouées du fait de la guerre (ce fut le cas du français Total, avec l'énorme concession dite "B" en plein milieu du Sud-Soudan).
Ce n'est qu'en 1999 que le pétrole a commencé à être exploité à grande échelle et à être exporté. Mais, cette fois, c'est l'embargo américain touchant le pays qui pénalisa le plus les entreprises occidentales. Aujourd'hui premier partenaire commercial du pays, la Chine est aussi le principal opérateur pétrolier au Soudan, suivie loin derrière par la Malaisie et l'Inde. Les Chinois ont construit, entre autres, l'unique pipeline du pays, la raffinerie de Khartoum ainsi que les terminaux pétroliers de Port-Soudan. Le Soudan est le troisième fournisseur de brut de Pékin, en 2010, et se situe dans le "top 5" des producteurs africains. Sudapet est la grande entreprise pétrolière du Soudan.
La manne pétrolière représente plus de 90 % des exportations du pays et plus de la moitié de son PIB (95 % pour le seul Sud-Soudan). Aujourd'hui encore, la grande majorité des réserves prouvées de pétrole se situent au Sud-Soudan, ce qui ne manque pas d'augmenter les enjeux des référendums de 2011 (car Abyei est également une zone pétrolifère).
Pour l'un des pays les plus arides de la planète, c'est une ressource inestimable. Elle est très inégalement répartie sur le territoire, étant essentiellement disponible le long des rives du Nil, dans le Sud, près de l'Ethiopie et dans les rares massifs montagneux Nuba, Marra et de la mer Rouge. Le Soudan étant très vaste mais peu peuplé, le pays ne rencontre pas les problèmes catastrophiques de l'Egypte concernant le manque et la pollution de l'eau. Malheureusement, de nombreux Soudanais n'ont pas encore suffisamment conscience de la valeur de cette ressource. De grandes quantités d'eau sont encore gaspillées tous les jours, surtout dans les grandes villes comme Khartoum. L'eau est quotidiennement indispensable au développement de la société. Elle sert à l'irrigation mais aussi à la production d'énergie avec la construction de barrages hydroélectriques.
Si une partie d'innombrables richesses du Soudan peut soutenir la comparaison avec l'Egypte, il faut savoir que le gouvernement de Khartoum mise peu sur le secteur, voire se méfie du développement du tourisme. Bien entendu, il y a à cela des raisons conjoncturelles. Etre soumis à un embargo et être traité comme un paria n'incite pas vraiment à accueillir de bon coeur des flots de visiteurs étrangers. Le sous-développement et l'instabilité chroniques du pays pendant longtemps n'ont pas permis de faire du Soudan une destination de vacances crédible. Cependant, les pesanteurs administratives ajoutent beaucoup au manque de considération officielle pour ce secteur. La difficulté d'obtenir des visas et la nécessité d'aller réclamer des permis de voyager dans la quasi-totalité du pays n'aident pas non plus. Enfin, bien peu de choses sont faites pour les Soudanais eux-mêmes, peu sensibilisés à leur patrimoine. Au niveau international, seul le site du djebel Barkal est classé par l'UNESCO, depuis 2003. Bref, on semble ici penser, et c'est compréhensible, que le pays a bien d'autres questions plus urgentes à traiter.
Il y a tout de même un bénéfice à tout cela. Le Soudan reste un pays préservé des foules touristiques et conserve ainsi son authenticité.
Malgré une certaine prospérité apportée par le pétrole, le développement du Soudan reste très inégal et inéquitable. Le pays est marqué par une macrocéphalie économique. La capitale draine en effet l'essentiel des revenus. Elle s'affiche donc comme résolument moderne et développée, mais, de fait, même dans son sein, les inégalités sociales sont très fortes. Le Darfour et le Sud-Soudan sont, eux, en situation de famine et de sous-développement chroniques. Le premier défi est donc la répartition plus juste des richesses parmi la population soudanaise.
Le deuxième est aussi lié à la question pétrolière. Le pays a développé une économie de rente dans laquelle il peut être tentant pour lui de se complaire. La dépendance aux hydrocarbures compromet la viabilité à long terme de l'économie soudanaise. En ces temps de baisses du prix des matières premières, le gouvernement cherche de nouvelles aternatives. Les projets agricoles sont ainsi de plus en plus nombreux pour permettre au Soudan de satisfaire aux critères du mythe du "grenier" de la région.
Le troisième et dernier défi de l'économie soudanaise tient à la dépendance d'une partie de la société à l'aide humanitaire extérieure. Le gouvernement insiste sur le fait que cela ne peut qu'être temporaire et qu'il ne faut pas s'y focaliser. Il n'empêche. Rarement un pays a pu se développer en comptant des millions de réfugiés et de déplacés internes sur son territoire. Il faudra bien traiter ces problèmes également.
Plus positivement, le pays a de grandes potentialités, même si elles dépendent fortement de la situation politique. La levée de l'embargo permettrait beaucoup de choses. La perspective n'est pas impossible si, en "récompense" du bon déroulement de l'année 2011 (dans le Sud et au Darfour), les Etats-Unis acceptent de faire un geste. Le pays ne soutient plus le terrorisme et a même largement coopéré avec les autorités américaines depuis le 11-Septembre. Quant à la CPI, comme le Soudan, les Etats-Unis ne la reconnaissent pas...
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