Leitfaden Burundi : Histoire
Le Burundi a été l'un des derniers royaumes africains conquis par les Européens. Aussi, même si les sources ne sont pas inexistantes pour écrire l'histoire du pays avant l'intrusion européenne, elles sont rares. L'absence d'écriture et de codification des traditions orales, comme on peut la trouver pour le royaume rwandais du nord par exemple, oblige à passer par d'autres voies que l'écrit pour aborder les temps précoloniaux.
Des fouilles archéologiques ont mis au jour des objets des industries lithiques de l'Acheuléen (500 000 Before Present - 100 000 BP) ou du Sangoen-Lupembien (technologie biface, à partir de 100 000 BP), et surtout de l'âge du fer ancien.
La palynologie (étude des pollens fossiles) a aussi apporté des connaissances sur l'évolution de la végétation depuis 30 000 ans, donc sur l'agriculture et l'histoire du peuplement ancien du Burundi. Par ailleurs, des reconstitutions ont été menées dans les années 1980 sur les technologies anciennes, comme la métallurgie du fer ou la fabrication du sel végétal.
Il s'agit de sites historiques marqués par des ensembles végétaux jadis gardés par des clans particuliers, auxquels s'attachent des traditions orales spécifiques. Les personnes chargées de la conservation de ces " lieux de mémoire ", composés de grands ficus, d'érythrines et d'autres arbres sacrés, ont livré des informations cruciales sur l'histoire et les acteurs du Burundi ancien.
Les ibigabiro (sing. ikigabiro) témoignent de la présence ancienne de représentants du pouvoir (rois, grands chefs, ritualistes). Les intemwa et amahero sont des bosquets sacrés correspondant aux tombeaux des rois ou des reines mères. Ce type de formation végétale commémorative se trouve en nombre dans les régions de Muramvya, Kayanza, Mwaro...
Les récits et les contes historiques transmis au fil des générations sont riches en informations sur le Burundi précolonial et les débuts de l'intrusion européenne. Leur collecte a commencé à l'arrivée des Européens dans le pays et s'est poursuivie jusque dans les années 1990.
Certains missionnaires, administrateurs coloniaux ou chercheurs ont à cet égard eu une activité remarquable : les pères Van der Burgt (fin du XIXe siècle) et Bernard Zuure (années 1930), Mgr Julien Gorju (années 1920-1930), Georges Smets, Albert Gille et Eugène Simons (années 1930-1950).
En 1957-1958, les travaux de l'historien Jan Vansina ont eu un impact considérable sur la connaissance du Burundi précolonial et au-delà, sur les méthodes de travail sur les sources orales en Afrique (La légende du passé : traditions orales du Burundi, Tervuren, 1972).
Après l'indépendance, les enquêtes n'ont pas cessé. Le père Rodegem a été un collecteur notable de sources orales (années 1970). Sous la IIe République, la création du Centre de civilisation burundaise, aujourd'hui disparu, a permis de systématiser des campagnes dans le pays. Des centaines de témoignages ont été enregistrées, irremplaçables pour la connaissance du Burundi ancien (travaux des chercheurs et enseignants du département d'histoire de l'Université du Burundi).
On doit les premières descriptions écrites du Burundi à des explorateurs ou des missionnaires qui l'ont pénétré à partir du milieu du XIXe siècle : R. Burton, J. Speke et H. M. Stanley (années 1860-1870), ou encore Oscar Baumann, Richard Kandt et le prêtre Van der Burgt, avec des ambitions plus scientifiques (années 1890-1900).
Les publications missionnaires sont aussi irremplaçables. Les Pères blancs ont consigné au quotidien leurs observations dès leur arrivée dans le pays, dans des diaires conservés à Rome.
Les publications coloniales ont pris la forme de rapports rédigés par les autorités administratives pour la métropole ou pour la Société des Nations (plus tard l'ONU). Des personnalités coloniales comme le résident P. Ryckmans (années 1920) ou le vice-gouverneur général J.-P. Harroy (années 1950) ont aussi signé des ouvrages.
Des archives sont conservées dans les anciennes métropoles européennes (Potsdam pour la période allemande, Bruxelles pour la période belge), ainsi qu'ailleurs, selon les circonstances (Londres, Dar-es-Salaam, Kinshasa, Kigali...). Au Burundi, le service des Archives nationales a été créé en 1978 seulement, mais le dépôt n'est pas systématique.
Entre - 1000 et - 200 avant notre ère > Apparition d'un foyer de peuplement de populations bantouphones dans la région des Grands Lacs.
Vers 1680-1700 > Fondation du royaume du Burundi par Ntare Rushatsi.
A partir des années 1820 > Premières caravanes de commerçants zanzibarites à la recherche d'ivoire et d'esclaves sur le littoral du lac Tanganyika.
Autour de 1850 > Avènement du mwami Mwezi Gisabo (jusqu'en 1908). Premières explorations européennes (Burton et Speke en 1858, Livingstone et Stanley en 1871).
1890 > Naissance du Protectorat allemand est-africain (en 1899, Urundi, Ruanda, Tanganyika).
1897 > Fondation de la ville d'Usumbura (Bujumbura) par les militaires allemands.
6 juin 1903 > Traité de Kiganda consacrant la soumission de Mwezi Gisabo aux Allemands.
30 mai 1919 > Convention Ortz-Milner entre Belges et Britanniques. Un mandat est confié par la SDN à la Belgique pour l'administration du Ruanda-Urundi.
21 août 1925 > Loi organique sur le gouvernement du Ruanda-Urundi consacrant l'union administrative de ce territoire avec la colonie voisine du Congo belge.
1929-1933 > Réorganisation administrative de l'Urundi (éviction des chefs hutu).
13 décembre 1946 > Accord de Tutelle sur le Ruanda-Urundi entre la Belgique et l'ONU.
14 juillet 1952 > Décret sur la réorganisation politique du Ruanda-Urundi. Création de conseils à différents échelons (chefferies, sous-chefferies, territoires, Conseil supérieur du pays).
1959 > Déclaration gouvernementale belge sur l'avenir politique du Ruanda-Urundi et création des premiers partis politiques. Au Rwanda, c'est la " révolution sociale hutu ".
25 décembre 1959 > Décret intérimaire sur l'organisation politique au Ruanda-Urundi. Début de réformes politiques et administratives conduisant à une certaine démocratisation du pays.
15 nov.-8 déc. 1960 > Elections communales au suffrage universel direct des hommes. Victoire des partis " démocrates " (proches de la Tutelle belge).
18 septembre 1961 > Elections législatives au suffrage universel direct, contrôlées par l'ONU. Victoire du parti Uprona, chef de file des partis indépendantistes.
13 octobre 1961 > Assassinat du prince Louis Rwagasore, leader de l'Uprona.
1er juillet 1962 > Indépendance séparée du Burundi (royaume) et du Rwanda (république).
1965 > Assassinat du Premier ministre hutu Pierre Ngendandumwe, en janvier. En mai, élections législatives consacrant une forte présence de députés hutu. En octobre, première crise grave à connotation ethnique.
23-28 novembre 1966 > L'Uprona devient parti unique. La monarchie, représentée alors par le jeune Charles Ndizeye (mwami sous le nom de Ntare) est abolie et le capitaine Michel Micombero proclame la Ire République.
Avril-juin 1972 > Le " fléau " (ikiza) : tueries contre des Tutsi, suivies du massacre sélectif et massif des élites hutues (jusqu'à 200 000 morts). Assassinat du dernier roi Ntare au début de ces " événements ".
1er novembre 1976 > Coup d'Etat militaire et proclamation de la IIe République, présidée par Jean-Baptiste Bagaza.
3 septembre 1987 > Coup d'Etat militaire et proclamation de la IIIe République par le major Pierre Buyoya.
Août 1988 > Massacres de Ntega et Marangara (± 20 000 morts). Formation d'un gouvernement " d'unité nationale ".
1991-1992 > Adoption de la " Charte de l'Unité nationale " et nouvelle Constitution instaurant le multipartisme et des garanties pour les libertés publiques.
1er et 29 juin 1993 > Scrutins présidentiel et législatif. Victoire du parti Sahwanya-Frodebu et élection d'un Président hutu, Melchior Ndadaye.
21 octobre 1993 > Assassinat du président Ndadaye et début de massacres à grande échelle dans l'intérieur du pays.
6 avril 1994 > Décès du président Cyprien Ntaryamira dans l'attentat contre l'avion du président rwandais Habyarimana. Début du génocide des Tutsis au Rwanda.
1994-1995 > Intensification de la guerre civile et développement de rébellions armées. Nettoyages ethniques et journées " ville morte " à Bujumbura.
25 juillet 1996 > Coup d'Etat de Pierre Buyoya. Embargo contre le Burundi décrété par les pays voisins (levé en janvier 1999).
28 août 2000 > Signature de l'Accord pour la paix et la réconciliation à Arusha (Tanzanie).
1er novembre 2001 > Mise en place d'un gouvernement de transition. Pierre Buyoya (Tutsi, Uprona) en est le premier président.
Avril 2002 > Déploiement d'une force africaine d'intervention par l'Union africaine (MIAB-AMIB), remplacée par une force onusienne en mai 2004 (Onub, puis Binub).
1er mai 2003 > Transmission du pouvoir de transition à Domitien Ndayizeye (Hutu, Frodebu).
Oct.-nov. 2003 > Accords de partage du pouvoir entre le gouvernement de transition et le mouvement armé CNDD-FDD.
2005 > Référendum constitutionnel en février puis élections communales, législatives, sénatoriales et collinaires remportées par le CNDD-FDD. En août, Pierre Nkurunziza est élu président de la République.
2009 > Accord entre le gouvernement burundais et le Palipehutu-FNL.
2010 > Elections communales, législatives, présidentielle, sénatoriales et collinaires, remportées par le CNDD-FDD, mais boycottées après les communales par la plupart des partis d'opposition réunis en une Alliance des démocrates pour le changement (ADC Ikibiri). Pierre Nkurunziza est reconduit à la magistrature suprême, la majorité CNDD-FDD est écrasante à l'assemblée nationale.
2015 > Elections communales, législatives, présidentielles, sénatoriales et collinaires.
Deux questions majeures divisent les chercheurs à propos du Burundi précolonial : celle des origines du peuplement d'une part, et celle de la fondation du royaume et de la chronologie des cycles dynastiques d'autre part.
Véritable énigme historique, l'origine du peuplement est une question centrale dans le débat burundais.
Dans un contexte où la théorie " scientifique " des races avait bonne presse, à la fin du XIXe siècle, un schéma explicatif fondé sur la théorie des grandes invasions s'est imposé, qu'on a appelé la théorie " hamitique ". Selon ce schéma, le peuplement du Burundi (et des royaumes voisins) serait le résultat de migrations successives imposant des dominations nouvelles aux groupes déjà installés. Ainsi des " agriculteurs bantous " (assimilés aux Hutu), venus de l'Ouest africain, auraient d'abord refoulé des " chasseurs-cueilleurs pygmées " (assimilés aux Twa), vivant dans les forêts, avant d'être eux-mêmes assujettis à des " pasteurs hamites " (assimilés aux Tutsi), fondateurs des monarchies, qui seraient venus de l'Afrique du Nord-Est éthiopienne ou égyptienne (les Hamites, ou Chamites, descendants de Cham selon la Bible).
Cette théorie laisse pourtant bien des questions irrésolues. Par exemple, d'où vient la dynastie des " Ganwa " ? Les sources les disent tantôt Hutu tantôt Tutsi et leurs membres refusent d'être assimilés aux Tutsi, comme cela a été le cas pendant toute la période coloniale. De même, puisque le kirundi est une langue bantoue parlée par tous, peut-on envisager que les " envahisseurs tutsi " aient pu " oublier " leur propre langue ? Les Hutu de leur côté, qui ont les mêmes traditions orales que les Tutsi, peuvent-ils avoir occulté leur propre culture ? Enfin, si la migration des populations bantouphones paraît bien établie à partir du VIIe siècle av. J.-C., on ne dispose pas, du côté éthiopien par exemple, d'informations faisant état d'un départ massif de populations vers l'Afrique orientale et centrale.
En réalité, une seule certitude peut guider les débats, c'est que le Burundi s'est trouvé au carrefour de grandes rencontres humaines et de longue date. On en veut pour preuve la diffusion de plantes d'origines variées. L'une des premières aurait été le sorgho venu de la région du lac Tchad, le bananier serait ensuite arrivé d'Asie vers l'an 1000, suivi, vers le XVIIe siècle, par les plantes américaines comme le haricot, le manioc, le maïs ou le tabac...
Il faut, quoi qu'il en soit, rester prudent face aux théories inspirées de conceptions raciales des rapports humains. Des processus d'assimilation réciproque ont amené la population burundaise à partager une même langue et une même culture depuis des siècles, et à développer des formes politiques structurées communes.
Les questions relatives aux " origines " justifient trop souvent les exclusions et les massacres. N'a-t-on pas entendu dire lors de certaines tueries, quand des cadavres de Tutsis étaient jetés dans la Kanyaru, l'une des sources du Nil, qu'on les " renvoyait " chez eux, en Egypte ? Et les colonisateurs qui voyaient dans les Tutsis des " nègres presque Blancs " n'ont-ils pas contribué à dévaloriser les Hutus, jugés moins " civilisés " ? Tous ces discours sur les orignes sont manipulables à souhait, c'est l'une des meilleures raisons de s'en méfier.
Le problème de la chronologie dynastique renvoie à celui de l'ancienneté de la monarchie burundaise.
Celui que l'on présente comme le fondateur du royaume, Ntare Rushatsi, aurait imposé son autorité à des roitelets hutus installés au nord-est, au nord-ouest et au sud du pays actuel. Il serait venu, selon les traditions orales, soit du Rwanda, soit plutôt du Buha dans la Tanzanie actuelle, et aurait établi son pouvoir sur les plateaux centraux, du Bututsi au Buyenzi, avec comme centre politique la région de Muramvya. Il lui fallait aussi faire reconnaître son pouvoir aux royaumes voisins (Rwanda, Bugesera et Buha), contre lesquels il aurait guerroyé.
Ntare " le Hirsute " apparaît donc comme un guerrier ayant unifié le pays, au moins les plateaux centraux. Mais à quand remonte cette fondation ? Cela dépend du nombre de bami (rois, singulier : mwami) ayant régné après Ntare. Comme chaque mwami a porté l'un des quatre noms qui se répètent, toujours dans le même ordre, dans la dynastie : Ntare (" le lion "), Mwezi (" la lune "), Mutaga (" le midi ") puis Mwambutsa (" le passeur "), la question est de savoir combien de ces cycles se sont succédé depuis l'origine ?
Deux thèses s'affrontent : la chronologie longue, avec quatre cycles de quatre rois, et la courte, qui envisage deux cycles de quatre rois.
La chronologie longue (16 rois) ferait remonter Ntare I au début du XVIe siècle. L'hypothèse se fonde sur le fait que tous les bami accolaient à leur nom de règne un surnom, et que l'on en connaît beaucoup. On pense en outre que l'élaboration de la structure sociopolitique du pays a demandé du temps, ce qui milite pour la durée.
Selon l'hypothèse courte (8 rois), le royaume remonterait à la fin du XVIIe siècle. Elle s'appuie sur le fait que les rois pouvaient avoir plusieurs surnoms et qu'il n'existe dans la région de la Kibira où ils étaient ensevelis que 7 tombeaux connus (Mwambutsa est enterré en Suisse et son fils Ndizeye, tué en 1972, a été jeté dans une fosse quelque part vers Gitega)... A dire vrai, la mise en relation des récits burundais avec les traditions orales du Rwanda ou des royaumes voisins fait pencher la plupart des historiens vers le cycle court, sans aucune ambiguïté. Mais le souhait de s'ancrer dans un passé plus lointain et le processus actuel d'idéalisation de la royauté pousse certains " mémorialistes " burundais à repousser le plus loin possible l'origine de la monarchie, parfois jusqu'au XIVe siècle (par exemple Charles Baranyanka, Le Burundi face à la croix et à la bannière, Bruxelles, édition à compte d'auteur, 2009).
Il n'est pas besoin de situer la fondation du royaume le plus loin possible pour souligner que la monarchie burundaise s'est développée et épanouie pendant trois siècles au moins au coeur des Grands Lacs. Les récits locaux sont plus ou moins précis sur les rois qui se sont succédés aux XVIIe et XVIIIe siècles et ils permettent de dresser un tableau historique sommaire de ces périodes anciennes.
Ntare Rushatsi. C'est le mwami fondateur du royaume, dont les récits oraux retracent l'apparition comme " héros civilisateur ", soit au Rwanda (" cycle de la Kanyaru "), soit au sud du pays vers le royaume du Buha (" cycle du Nkoma "). D'où qu'il soit venu, toutes les traditions lui accordent une origine mystérieuse, le font venir de l'extérieur du pays et lui attribuent une puissance surnaturelle.
Il serait " tombé du ciel " et sorti de la forêt après avoir tué un lion, puis serait arrivé au Burundi en apportant avec lui toutes les semences utiles au pays. Le tambour Karyenda, symbole sacré de la monarchie, aurait été fabriqué par ses soins avec la peau de son taureau, posée sur une termitière où se trouvait un serpent venimeux appelé Inkoma. En essayant d'en sortir, celui-ci aurait frappé la peau à coups de tête, inaugurant ainsi le tambour comme symbole du pouvoir royal (le tambour comme le royaume sont appelés ingoma).
Rushatsi aurait instauré tout un ensemble d'institutions politiques et religieuses qui sont aux fondements de la royauté traditionnelle. Mais à dire vrai, on ne sait pas grand-chose de l'organisation de son royaume, sinon qu'il exerçait son pouvoir avec des devins (abapfumu) qui étayaient ses forces magiques. Il passe aussi pour être à l'origine de l'ordre judiciaire des bashingantahe et pour avoir instauré le grand rituel monarchique du muganuro, la fête annuelle des semailles du sorgho. Son territoire n'englobait que les régions centrales du Burundi actuel (Mugamba, Buyenzi et Kirimiro).
Mwezi Ndagushimiye. Les sources sont presque muettes sur le premier Mwezi qui succéda au roi fondateur. On dit qu'il aurait eu un très long règne, mais il existe peut-être une confusion avec Mwezi Gisabo, plus tardif.
Mutaga Senyamwiza. Ce mwami doit sa célébrité aux guerres qu'il a livrées à son voisin du Nord, entrecoupées de réconciliations (il aurait épousé une fille du souverain rwandais Cyirima). On le disait " beau comme le soleil ", d'où son surnom Senyamwiza. Il périt lors d'un affrontement avec son concurrent rwandais, dans la région de Butare. La frontière de la Kanyaru qui sépare encore aujourd'hui le Rwanda du Burundi aurait été fixée à son époque.
Mwambutsa Mbariza. Ce roi serait sorti vainqueur d'une épreuve de force avec ses frères pour accéder au tambour (royaume). Pour se venger de ses tuteurs (une régence était en place à ses débuts), il les aurait enivrés et enfermés dans une hutte, avant d'y mettre le feu... Mais l'incendie se serait propagé à tout le pays, nécessitant son sacrifice pour l'arrêter. Il se serait jeté dans le brasier pour l'éteindre. Il est difficile de dire si cette histoire est une métaphore de la terrible sécheresse qui frappa le Burundi à cette époque (famine dite " Kubebe ") ou le récit d'une guerre civile précoloniale...
On attribue souvent au populaire héros Samandari, un bouffon rusé, l'invention de la " juste " justice au Burundi.
Demandant un jour au mwami de surveiller la cuisson de ses épinards, Samandari s'en va chercher du bois. De retour près de sa marmite, voyant que les épinards ont diminué de volume, il accuse le roi de les avoir mangés et d'être un voleur. Ce dernier proteste de sa bonne foi, mais rien n'y fait et finalement, il doit offrir à Samandari beaucoup de vaches pour apaiser sa colère. Samandari convoque alors les sujets du roi et ses juges, et leur raconte comment il est parvenu, par une manoeuvre préméditée, à accuser le roi à tort, dans le but de s'emparer de ses biens...
La morale de l'histoire servira à ce que le roi et ses bashingantahe admettent le principe de la présomption d'innocence et du témoignage contradictoire, afin que les calomniés puissent se défendre. Cette histoire est souvent rapportée au règne de Ntare Rushatsi, roi fondateur qui passe pour avoir organisé le système de justice.
Ntare Rugamba (1796-1850). Arrivé au pouvoir peu avant 1800, Ntare Rugamba fut une sorte de second fondateur du royaume. Le pays lui doit son expansion territoriale, son organisation politique et militaire, et ses frontières actuelles. Il étendit son autorité notamment à l'est et au nord-est, en enlevant le Buyogoma au Buha, en conquérant la moitié du Bugesera, en occupant le Bugufi et en contrôlant mieux le Bweru. Il fit aussi des incursions à l'ouest, dans l'Imbo. Enfin, il mena de grandes expéditions contre son voisin rwandais.
La ville de Kirundo (de kurunda, " entasser ") doit son nom aux affrontements sanglants qui l'opposèrent, dans la région du Bugesera, aux Rwandais, dont on dit que les cadavres étaient si nombreux qu'entassés ils formaient une montagne... Ces derniers se vengèrent plus tard, dans les environs de Butare (Rwanda) et de Kayanza (Burundi).
Ntare Rugamba est responsable de la redéfinition de l'organisation intérieure du royaume, puisqu'il a créé des chefferies supplémentaires pour administrer les nouvelles conquêtes. Il a choisi systématiquement pour chefs des Ganwa (issus de la lignée dynastique), en particulier ses fils, dont le célèbre guerrier Rwasha, installé au Buyogoma. En revanche, parmi les sous-chefs (batware) se trouvaient toujours des Ganwa, des Tutsi et des Hutu. Sur l'ensemble du territoire, le mwami disposait de ses domaines propres (ivyibare), gérés par des bishikira hutu ou tutsi. Les périphéries du royaume, moins soumises, formaient de grands apanages princiers, ce qui posa problème plus tard.
L'organisation militaire du Burundi précolonial doit tout à ce souverain. Dès leur plus jeune âge, les enfants étaient instruits dans l'art de la guerre. Il n'y avait pas d'armée de métier, mais les jeunes pouvaient à tout moment être appelés en renfort par le roi. Ce dernier disposait d'une garde personnelle, composée d'individus recrutés parmi ses courtisans, ses chefs et leurs enfants. Il s'agit des ancêtres des guerriers intore, dont on peut aujourd'hui encore admirer les danses vers Kirundo. Les chefs également avaient leur propre armée, qui pouvait venir en aide au roi.
Après un long règne marqué par les conquêtes et l'affermissement du pouvoir politique, judiciaire et militaire, Ntare Rugamba se retira dans son enclos de Mugera, où il mourut après avoir épousé Vyano, la mère du futur Mwezi Gisabo. Il est enterré à Buruhukiro, près de la frontière rwandaise.
Mwezi Gisabo (1850-1908). Le règne de Mwezi Gisabo, mineur à son avènement, a marqué l'apogée du Burundi monarchique précolonial. Les frontières conquises par Rugamba ont été consolidées, car Gisabo a mis en déroute tous ses adversaires, Rwandais, du Buha et même trafiquants zanzibarites qui ne parvinrent jamais à pénétrer les collines pour y chercher des esclaves. Sous son règne, le système politique s'est rôdé, avec des fonctions administratives et des institutions bien établies. Enfin, la prospérité économique semble avoir permis une certaine croissance démographique.
Considéré comme source du pouvoir et de la vie, le roi incarnait à la fois la justice, la fertilité et le sacré. Il s'entourait de responsables, capables d'arbitrer les conflits et d'énoncer la justice à ses côtés (banyarurimbi à la cour, bashingantahe sur les collines), et de lui prodiguer des conseils politiques et militaires.
Les banyamabanga, gardiens des secrets de la royauté et organisateurs des rituels monarchiques, étaient voués à son service. Certains étaient chargés de la préparation de la fête des semailles, le muganuro (Bajiji hutu au Nkoma), d'autres étaient les gardiens des nécropoles royales (Banyange ou Biru du Mugamba, de Mwaro et du nord du pays) ; d'autres encore étaient des devins, les bapfumu, spécialistes du surnaturel, chargés d'aider le roi à résoudre ses problèmes et ses incertitudes politiques ; enfin, les batimbo réglaient et surveillaient les cultes liés aux tambours dynastiques (Karyenda et Rukinza, les deux tambours les plus sacrés).
Parmi tous les proches du pouvoir se trouvaient des Hutu et des Tutsi ainsi que des Ganwa. Toutes ces ethnies participaient, à des degrés divers, à la gestion territoriale du royaume. Les Ganwa, issus des lignées princières, dirigeaient des provinces avec des assistants choisis dans les clans locaux importants. Leurs pouvoirs sur les terres et leurs sujets étaient étendus. A la fin du siècle, certains étaient parvenus à une telle autonomie qu'ils devinrent des menaces pour la stabilité du royaume. Les batware nkebe et les bishikira étaient de plus simples citoyens, hutu ou tutsi, placés sous l'autorité directe du roi et échappant ainsi à celle des Ganwa. Les premiers géraient les périphéries (Imbo et Bugesera) et les seconds s'occupaient des domaines personnels du roi (ivyibare), au centre.
Les relations entre les sujets et les puissants pouvaient faire l'objet d'un " contrat de clientèle ", appelé ubugabire. Les colonisateurs y ont vu le modèle d'une féodalité africaine. L'échange portait surtout sur la cession de vaches, mais il pouvait aussi concerner des biens comme des houes, du petit bétail (moutons, chèvres) ou même une terre. Il impliquait une relation réciproque entre deux individus, le mugabire (le " client ") et le shebuja (le " patron "), qui n'étaient pas toujours respectivement un Hutu et un Tutsi, ce qui complique passablement les analyses...
Ntare (I) Rushatsi : fin du XVIIe siècle
Mwezi (I) Ndagushimiye : XVIIIe siècle
Mutaga (I) Senyamwiza : XVIIIe siècle
Mwambutsa (I) Mbariza : XVIIIe siècle
Ntare (II) Rugamba : 1796-1850
Mwezi (II) Gisabo : 1850-1908
Mutaga (II) Mbikije : 1908-1916
Mwambutsa (II) Bangiricenge : 1916-1966
Ntare (III) Ndizeye : juillet-novembre 1966
D'après Mworoha (dir.), Histoire du Burundi. Des origines à la fin du XIXe siècle, Paris, Hatier, 1987.
De graves difficultés ont marqué la fin du règne de Mwezi Gisabo, et annoncé le déclin du royaume. Des calamités naturelles ont impressionné la population, semblant annoncer un cataclysme (peste bovine, invasion de sauterelles et de chiques, éclipse totale du soleil...), et des conflits intérieurs ont éclaté.
Installés dans leurs grandes chefferies, les frères de Mwezi s'estimaient quasi indépendants. Une querelle opposa notamment Mwezi à son frère Ndivyariye (son tuteur à l'enfance), dont les descendants, chefs au Bweru, devinrent des ennemis irréductibles. Certains frères n'entrèrent pas en lutte ouverte contre Gisabo, mais, par assimilation, on oppose souvent depuis cette époque les Baganwa Batare (descendants de Ntare Rugamba, sauf Gisabo) aux Baganwa Bezi (descendants de Gisabo). Cette rivalité se trouvera cristallisée plus tard sous d'autres formes, jusqu'à la décolonisation.
Enfin, des menaces extérieures, avivées par les faiblesses internes du royaume, ont pesé sur l'intégrité du royaume. Certaines tentatives d'invasions furent repoussées (Rwanda, populations Ngoni, Banyamwezi), et notamment celles des Arabes et des Zanzibarites esclavagistes venus d'Afrique orientale. Les Burundais s'illustrèrent en vainquant par la ruse les troupes de Rumaliza, un trafiquant d'esclaves puissant. Mais vinrent ensuite les premiers explorateurs européens (Burton, Speke, Livingstone, Stanley, Baumann...), arrivés peu avant ou avec les missionnaires chrétiens et les troupes allemandes. Ces dernières, installées dans l'Imbo à partir de 1896, s'appuyèrent sur des rebelles à l'autorité du mwami (Maconco, Kilima) pour pénétrer dans les collines et réduire l'influence de Gisabo. Sa capitulation, déguisée en traité, eut finalement lieu à Kiganda, l'une des plus vieilles capitales royales du pays, le 6 juin 1903. Dès lors, les Allemands purent commencer leur " oeuvre civilisatrice " au Burundi.
Le règne de Mutaga Mbikije et l'avènement de Mwambutsa. Les régences qui ont ouvert les règnes de Mutaga Mbikije en 1908 et de Mwambutsa Bangiricenge en 1915 ont aussi favorisé l'affaiblissement de la monarchie burundaise. Les détenteurs du pouvoir ont été chaque fois la veuve de Gisabo, la célèbre Ririkumutima, et son fils aîné, Ntarugera.
Le prestige du mwami en tant que tel est cependant resté intact. Intronisé selon les règles à Bukeye en 1908, Mbikije est mort rapidement. Mwambutsa lui a succédé dans les conditions les plus traditionnelles, mais la présence lors de la cérémonie du résident allemand Langenn a rappelé que le Burundi et son souverain étaient désormais sous la coupe coloniale.
Mwambutsa, enfant au moment de son intronisation, a été proclamé majeur en 1931. Il a traversé toute la période coloniale, d'abord allemande, puis belge.
A la conférence de Berlin de 1884-1885, qui a réuni les grandes puissances européennes en expansion en Afrique, l'Allemagne s'est adjugée une grande partie de l'Afrique orientale : le Burundi, le Rwanda et le Tanganyika (Deutsch Ost-Afrika). Mais elle n'a entamé sa conquête qu'à partir de 1896 (fondation de la station militaire de Kajaga) et sa colonisation en 1902, quand est intervenu un règlement frontalier avec le grand voisin congolais, alors sous l'autorité directe du roi des Belges, Léopold II.
La colonisation allemande s'est avérée être une politique de militaires, ignorante des traditions et des institutions. Des expéditions punitives ont été menées, parfois sanglantes, et le résident Von Grawert (1903-1908) a même été surnommé Digidigi en raison des crépitements incessants des mitrailleuses de ses soldats !
Bien que la présence allemande ait été finalement assez brève (1896-1916), des évolutions notables ont eu lieu pendant cette période. D'abord, le développement des activités missionnaires. Dès 1879, des religieux sont arrivés sur place et ont joué un rôle éminent aux côtés des colonisateurs, qui leur ont abandonné l'action " civilisatrice " (en 1911, 70 écoles missionnaires sont déjà en activité). Ensuite, l'introduction de la monnaie, qui a bouleversé la nature des échanges économiques (la roupie et le heller, qui a donné plus tard le mot kirundi amahera, " l'argent "). Enfin, les Allemands ont commencé ce qu'ils appelaient " la mise en valeur " du pays. Installés à partir de 1912 dans leur " Résidence " à Gitega, ils ont utilisé la main-d'oeuvre burundaise dans tout le domaine colonial allemand et, surtout, ont commencé à développer la culture du café. La Première Guerre mondiale est toutefois venue interrompre tous leurs projets.
En 1916, les troupes belges du général Tombeur, aidées des Britanniques, s'emparent de l'Afrique orientale allemande. En mai 1919, la convention Ortz-Milner signée par les deux puissances victorieuses règle les détails de la répartition des territoires conquis, et confie l'Urundi et le Ruanda à la Belgique. Après une occupation militaire de 6 ans, l'officialisation de la colonisation belge intervient en 1923. Elle lie durablement deux nations jusque là séparées et souvent hostiles, le Burundi et le Rwanda, qui ne redeviendront distinctes qu'à leur indépendance, en 1962.
La période du mandat (1923-1945). La défaite de l'Allemagne en 1918 a conduit au partage de ses colonies entre les pays vainqueurs. Placé sous mandat de la Société des Nations (SDN) en août 1923, le territoire du Ruanda-Urundi fut confié à la Belgique. En théorie, son statut particulier n'en faisait pas une colonie belge, mais par une loi organique de 1925, la Belgique le rattacha au Congo par des liens administratifs, financiers, militaires et économiques qui en firent une sorte de dernière province congolaise.
La politique coloniale belge a été marquée par le système d'administration indirecte, censé respecter les autorités traditionnelles. En réalité, les institutions étaient dédoublées : à chaque niveau de la pyramide administrative, le colonisateur belge exerçait sa tutelle. Un résident contrôlait le mwami, des administrateurs de territoire contrôlaient les chefs, et des chefs de centre avaient autorité sur les sous-chefs. Ce pouvoir pyramidal était coiffé depuis Léopoldville au Congo (actuelle Kinshasa), par un gouverneur général.
Entre 1925 et 1933, une grande réforme administrative a conduit à l'élimination presque complète des chefs et des sous-chefs hutus. Les autorités belges souhaitaient en effet s'appuyer sur l'aristocratie princière et les Tutsis, considérés comme plus aptes à gérer le pays que leurs compatriotes hutus. Une école fut créée dès 1929 pour assurer la pérennité du système, qui recevait exclusivement les enfants des chefs (donc surtout des Ganwa et des Tutsi). C'est ce qui devint plus tard le célèbre groupe scolaire d'Astrida (aujourd'hui " Butare ", au Rwanda), où firent leurs études la plupart des élites politiques de la colonisation et des premières années postcoloniales.
C'est aussi l'époque où une pièce d'identité mentionnant l'appartenance ethnique des Burundais fut introduite dans le pays (abolie à l'indépendance au Burundi, la mention fut maintenue au Rwanda jusqu'en 1994).
La période de la Tutelle (1946-1962). Après la Seconde Guerre mondiale, l'Organisation des Nations unies (ONU), qui remplace la SDN, confirme la Belgique à la tête de l'administration du Ruanda-Urundi. Le 13 décembre 1946, un accord de tutelle est signé, qui place le territoire sous l'autorité de la Belgique, dont l'action doit être contrôlée par l'ONU.
Cette organisation envoie sur place des missions de visite triennales, pour vérifier que " le progrès politique, économique et social des populations ainsi que le développement de leur instruction " et " leur évolution progressive vers la capacité de s'administrer eux-mêmes " sont des missions bien remplies. En réalité, ce n'est qu'à partir de 1957 que l'ONU commencera à vraiment surveiller les réalisations belges, timorées sur le plan politique.
Dans sa forme comme dans son fond, le système colonial belge n'a en effet pas beaucoup évolué entre la période mandataire et celle de la tutelle. Le mwami et les chefs sont restés étroitement surveillés, dans leur vie privée comme dans leur mission administrative. Leur rôle était de faire appliquer les règlements coloniaux, souvent sévères, ce qui les a aussi rendus impopulaires. Des conseils à différents échelons (pays, territoire, chefferie, sous-chefferie) furent bien créés par un décret de juillet 1952, mais le processus d'élections en cascade pour la désignation de leurs membres a nui à la légitimité des élus.
A partir de 1956, des revendications nationalistes ont obligé l'administration coloniale à engager des réformes plus importantes.
Le rôle de l'Eglise. L'Eglise catholique a joué un rôle majeur aux côtés de l'administration coloniale belge. Dès les premières années, elle a combattu la religion traditionnelle (culte de Kiranga) et a tout mis en oeuvre pour affaiblir, puis supprimer les rites de la monarchie sacrée (suppression du muganuro en 1929). Adoptant les pratiques des autorités civiles belges, l'Eglise a développé une conception aristocratique et même médiévale du gouvernement des hommes, en considérant les Tutsi comme les " élites naturelles " du pays. Elle a donc assuré leur conversion au catholicisme et enseigné qu'ils étaient les " seigneurs féodaux " des Hutu, ceux-ci étant des " serfs " dévoués.
Le gouvernement colonial s'est déchargé sur les missionnaires des tâches de formation, d'éducation, d'action sociale et sanitaire. Ces derniers, grâce à leur maîtrise du kirundi et à leur contact étroit avec la population, ont acquis une forte influence sociale, économique, mais aussi politique. A l'instar du Congo, le Ruanda-Urundi était comme une colonie confessionnelle de la très catholique Belgique, une sorte de grand pensionnat en Afrique.
L'instruction visait à former des " auxiliaires " plus que des élites responsables. Aussi l'enseignement était avant tout un enseignement élémentaire ne comportant pour la plupart des jeunes qu'un cycle d'études, le primaire. L'enseignement secondaire était élitiste et ne formait que quelques clercs et secrétaires, des moniteurs (instituteurs), des assistants médicaux et vétérinaires (groupe scolaire d'Astrida), ou encore de futurs prêtres " indigènes " (séminaires). Le français était la langue officielle de l'enseignement, la plupart des missionnaires étant wallons.
Plus tard toutefois, une nouvelle génération de prêtres, d'origine flamande, s'est davantage identifiée aux Hutu et a entrepris de les former. Parmi ces élites hutu éduquées, quelques leaders ont émergé, notamment au Rwanda où parut sous leur plume le Manifeste des Bahutu, en 1957, prélude à la " révolution sociale hutu " de 1959.
Les politiques économiques et sociales. La colonisation a été davantage marquée par une volonté d'exploitation économique du territoire que par des réalisations dans le domaine politique. Les colonisateurs belges voulaient faire du Ruanda-Urundi un réservoir de main-d'oeuvre pour la mise en exploitation des mines du Katanga (Shaba) et un jardin maraîcher pour le Congo voisin (sans parler de la viande et du lait). Des camps de recrutement pour le Congo ont été mis sur pied, sous le mandat puis sous la tutelle. De nombreux Burundais ont aussi gagné l'Afrique anglaise : les lourds impôts qui frappaient les autochtones, ainsi que les tracasseries administratives, ont en effet poussé de nombreux travailleurs burundais à s'engager sur les grandes plantations d'Afrique orientale (Ouganda).
A partir des années 1930, un effort a été réalisé pour tracer des routes, développer la navigation sur le lac Tanganyika, valoriser les cultures commerciales (café, coton, huile de palme) et même, surtout après 1945, pour améliorer la production vivrière et lutter contre les disettes et les famines. Le pouvoir colonial belge a pris des mesures pour reboiser et lutter contre l'érosion. En matière d'élevage, il a introduit de nouvelles races bovines et développé l'action vétérinaire. Enfin, au début des années 1950, la Belgique a lancé un " Plan décennal pour le développement économique du Ruanda-Urundi " qui comportait d'ambitieux volets sur l'agriculture, l'élevage, dans le domaine social et des communications.
La nature des rapports entre colonisateurs et colonisés a toutefois empêché l'adoption sincère et volontaire de ces mesures par les Burundais, et les activités agricoles ont gardé un caractère traditionnel. Quant au commerce intérieur, il est resté dominé pendant toute la période coloniale par des étrangers (Indiens, Arabes, Pakistanais et Grecs), installés dans les centres de négoce.
La période de la décolonisation burundaise doit être lue dans le contexte général des indépendances africaines. Elle a aussi été influencée par les événements dans les pays voisins sous contrôle belge : la tumultueuse indépendance du Congo, obtenue à l'arrachée en juin 1960, et la " révolution sociale hutu " au Rwanda, en 1959 (" la Toussaint rwandaise ", avec son cortège de morts et de réfugiés tutsi), suivie de l'établissement d'un régime républicain dans ce pays en 1961. Le " modèle " rwandais (renversement d'un pouvoir " minoritaire tutsi " par un pouvoir " majoritaire hutu ") a ensuite servi tantôt de repoussoir, tantôt d'objectif à atteindre pour les différentes élites du Burundi indépendant.
L'ONU, devenue une tribune de l'anticolonialisme avec les indépendances asiatiques et la Guerre froide, a exercé à partir de 1946 une vigilance accrue sur la politique coloniale belge, lui imposant de nouvelles orientations. Après de longues réticences, le pouvoir colonial a annoncé, en novembre 1959, son intention d'accorder davantage de responsabilités aux " indigènes " du Ruanda-Urundi. Les réformes lancées dès l'année suivante comportaient l'africanisation des cadres (donc la disparition du dédoublement des administrations, européenne et " indigène "), le démantèlement des circonscriptions coutumières (création des communes et provinces au lieu des sous-chefferies et chefferies), le principe de la dévolution du pouvoir par les urnes (création d'un conseil représentatif, autrement dit d'une Assemblée nationale).
Dans le cadre des réformes, et pour permettre la compétition des idées et des hommes, le droit d'association est libéralisé en juin 1959, et plus d'une vingtaine de partis politiques naissent rapidement. On les groupe en trois tendances (toutes favorables au maintien de la monarchie) :
Les partis " nationalistes " réclament l'indépendance immédiate. On trouve à leur tête l'Uprona (Union pour le progrès national), combattue par les autorités coloniales pour ses revendications et ses liens avec des " communistes ", comme Patrice Lumumba au Congo ou Julius Nyerere au Tanganyika. Un leader de choix conduit cette tendance, le prince Rwagasore, fils du mwami Mwambutsa (lignée des Bezi).
Les partis " démocrates " sont favorables à une indépendance " préparée ", c'est-à-dire repoussée à plus tard. Ils sont conduits par le Parti démocrate chrétien (PDC), dirigé par Ntidendereza et Biroli, les fils d'un chef célèbre et proche de l'administration européenne, Pierre Baranyanka (lignée des Batare).
Les partis " populaires " réclament le changement des aspects " féodaux " du royaume et l'accès au pouvoir du " petit peuple ". Le Parti du peuple (PP), qu'on a souvent qualifié anachroniquement de " pro-hutu ", mène cette tendance.
Regroupés dans un " Front commun ", les partis démocrates et populaires sortent vainqueurs des élections communales de 1960, au cours desquelles les partisans de l'Uprona sont neutralisés par diverses mesures de blocage administratif. Pourtant l'année suivante, le 18 septembre 1961, dans un scrutin contrôlé cette fois-ci par l'ONU, c'est l'Uprona qui rafle la quasi-totalité des sièges de députés à l'Assemblée nationale (58 sur 64). Le prince Rwagasore est alors nommé Premier ministre du gouvernement burundais autonome, mais quelques jours plus tard, le 13 octobre 1961, il est tué d'une balle dans la tête à Bujumbura.
Ce crime, commandité par Ntidendereza et Biroli du PDC (pendus en janvier 1963), a profondément secoué le Burundi politique. Dès ses lendemains a commencé une sorte de chasse aux sorcières contre les partisans du Front commun, parfois sanglante (meurtres à Kamenge en janvier 1962). Dans le même temps, les rivalités au sein de l'Uprona se sont exacerbées autour de la succession du prince. André Muhirwa (un Ganwa) a été nommé pour le remplacer, mais d'autres leaders, comme Mirerekano ou Ngendandumwe (des Hutu de l'Uprona) se sont sentis écartés.
Le prince Louis Rwagasore (1932-1961), fils aîné du roi Mwambutsa ayant régné sur le Burundi pendant toute la période coloniale belge, est la figure emblématique de la lutte anticolonialiste dans le pays.
Eduqué dans les meilleures écoles du Ruanda-Urundi puis en Belgique, il s'est lancé à son retour dans la constitution de coopératives indigènes puis dans la création du parti nationaliste Uprona, qui a été le fer de lance des revendications indépendantistes. Mal aimé par les responsables coloniaux qu'il inquiétait par ses proximités avec les leaders voisins (Nyerere, Lumumba), il fut mis en résidence surveillée au moment des scrutins communaux de la fin 1960. Mais l'année suivante, le 18 septembre 1961, son parti remporta une victoire écrasante aux législatives, et il fut dans la foulée nommé Premier ministre du nouveau Gouvernement burundais autonome. Hélas, trois semaines plus tard, le 13 octobre 1961, il était assassiné dans un complot ourdi par ses adversaires du PDC. Depuis, il est honoré chaque année à la date anniversaire de sa mort, mais aussi chaque 1er juillet lorsqu'on célèbre l'Indépendance.
En 2011-2012, à l'occasion des commémorations du cinquantenaire à la fois de sa disparition et du retour à la souveraineté nationale, des monuments à sa gloire ont été érigés un peu partout dans le pays, venant s'ajouter à ceux déjà existant à Bujumbura, Gitega et Kayanza. Certains ont créé la polémique, ce qui souligne l'importance de ce personnage dans la vie politique burundaise. Il faut dire aussi que sa pensée politique, tournée vers le développement économique, l'unité et l'égalité des citoyens, quelle que soit leur identité ethnique, sociale ou politique, a un caractère encore très actuel.
Pour aller plus loin, lire ou voir :
C. Deslaurier et D. Nizigiyimana, Paroles et écrits de Louis Rwagasore, leader de l'Indépendance du Burundi-Amajambo n'ivyanditswe dukesha Rudoviko Rwagasore, yarwaniye Ukwikukira kw'Uburundi, Bujumbura et Paris, éditions Iwacu et Karthala, 2012 (livre bilingue).
Rwagasore, un film de Justine Bitagoye et Pascal Capitolin, production La Benevolencija, 102 minutes, Bujumbura, 2012.
Le 1er juillet 1962, le Burundi et le Rwanda acquièrent séparément leur indépendance. Usumbura, jusque-là chef-lieu du territoire du Ruanda-Urundi, devient la capitale du Burundi sous le nom de Bujumbura.
Le contexte est tendu depuis la mort de Rwagasore, et les choses ne s'arrangent pas après l'indépendance. Deux groupes s'affrontent à partir de 1963 au sein du parti dominant Uprona : le groupe dit " de Casablanca " (plutôt tutsi, partisans du non-alignement ou proches des Chinois) et celui de Monrovia (plutôt hutu, et pro-Occidentaux). Par ailleurs, la question ethnique devient de plus en plus sensible en 1963-1964, en raison de la situation minoritaire des Hutu dans les milieux dirigeants et de la peur suscitée chez les Tutsi par de nouveaux événements au Rwanda à la Noël 1963.
Le mwami Mwambutsa joue un rôle ambigu qui ne facilite pas la décrispation politique. Proclamé monarque constitutionnel par la Constitution de 1962, calquée sur le modèle belge, il n'en demeure pas moins un souverain sacré par la volonté d'Imana (puissance divine) et ne compte pas renoncer à ses prérogatives. Affirmant son pouvoir, il multiplie les arrêtés royaux, créant des secrétariats d'Etat sous son autorité directe et changeant souvent de Premier ministre. L'un d'entre eux, le Hutu Pierre Ngendandumwe, est assassiné en janvier 1965. Le mwami dissout alors le parlement de 1961, et de nouvelles élections sont organisées. De nombreux Hutu sont alors élus, au nom de l'Uprona ou du PP. Le roi refuse pourtant de nommer le gouvernement proposé par l'assemblée et démet les bourgmestres élus en 1960, qu'il remplace par des administrateurs nommés (ce qui a perduré jusqu'en 2005).
Dans la nuit du 18 au 19 octobre 1965, des officiers hutu de l'armée et de la gendarmerie font une tentative manquée de coup d'Etat. Dans les jours qui suivent, des attaques contre des enclos tutsi font des centaines de morts (province de Muramvya). La répression est vigoureuse, des tribunaux militaires condamnent à mort plusieurs militaires et des civils, dont Paul Mirerekano, nouveau martyr de la cause hutu. Le mwami n'en part pas moins en Europe peu après, laissant derrière lui un vide propice à toutes les initiatives. Son fils, le prince Charles Ndizeye, le dépose en juillet 1966 et est intronisé en septembre. Il nomme au poste de Premier ministre l'ancien secrétaire d'Etat à la Défense nationale, le capitaine Michel Micombero.
Après différents incidents l'ayant opposé au nouveau roi Ndizeye, Micombero finit par le déposer et proclame, le 28 novembre 1966, la République du Burundi, dont il devient le premier président. Assisté d'un Conseil national de la révolution composé d'officiers, Micombero, un Tutsi du Sud appartenant à un clan Hima dont le rôle était négligeable à l'époque monarchique, nomme en décembre un nouveau gouvernement, dirigé par le secrétaire général de l'Uprona, qui devient parti unique.
La ligne politique. Le régime reprend les lignes définies depuis juillet 1966 : développement économique et mise au travail du pays, développement scolaire, réorganisation de la justice, politique extérieure ouverte aux pays voisins et " amis ". Surtout, le parti Uprona, avec ses mouvements intégrés (Union des travailleurs du Burundi, Union des femmes burundaises) ou les JRR (Jeunesses révolutionnaires Rwagasore), devient le principal vecteur d'encadrement de la population. Sa devise, Ubumwe, Ibikorwa, Amajambere (" Unité, Travail, Progrès ") devient la devise du parti Uprona et du nouvel Etat. Des travaux de développement communautaires sont instaurés, qui sont en fait des journées de travail offertes par la population au bénéfice de la communauté, selon le vieux modèle des corvées coloniales.
Si le régime de la Première République s'est caractérisé au début par de réels comportements démocratiques, très vite en revanche son ouverture et son dynamisme ont disparu. Les pouvoirs se sont concentrés entre les mains du " groupe de Bururi ", un petit groupe de politiciens du sud du pays, réunis autour du Président. Les clivages, ethniques, régionaux et politiques, se sont approfondis dans la société.
Les " événements " de 1972. Dans les dix années du régime Micombero, la question ethnique n'a cessé de s'amplifier, les élites tutsi vivant dans la psychose d'une mobilisation hutu sur le modèle rwandais, et les Hutu, victimes de plusieurs épisodes de répression depuis 1962-1965, craignant d'être la cible des Tutsi.
En avril 1972, à la suite d'une insurrection au cours de laquelle des Tutsi sont assassinés, commence le plus terrible massacre de l'histoire burundaise. L'armée, dirigée par des officiers souvent tutsi et appuyée par les JRR du parti Uprona, tue en quelques semaines plusieurs dizaines de milliers de Hutu (jusqu'à 200 000 selon les sources). Ces massacres, pudiquement appelés les " événements " (en kirundi, ikiza, " le fléau "), ont été ensuite complètement occultés par le pouvoir, alors qu'ils ont déterminé l'histoire nationale. Non reconnus, ils ont alimenté la rancoeur des Hutu, durablement exclus des sphères du pouvoir et de l'administration du pays, comme des fonctions dirigeantes au sein de l'armée.
Le 1er novembre 1976, un nouveau coup d'Etat porte au pouvoir Jean-Baptiste Bagaza, un autre militaire tutsi originaire du sud du pays. La IIe République du Burundi est proclamée.
La période d'ouverture. Le régime Bagaza est d'abord marqué par des efforts dans les domaines économiques et sociaux. L'Etat lance une politique de grands travaux (routes, centrales électriques), crée des entreprises publiques et des organismes parapublics pour le développement économique, supprime définitivement le bugererwa, un contrat agricole très défavorable pour les cultivateurs.
En novembre 1981, le Président promulgue une nouvelle constitution qui prévoit la séparation des pouvoirs. Une nouvelle assemblée nationale est élue en octobre 1982. Mais le parti unique Uprona est omniprésent et les députés sont élus ou cooptés sur des listes de candidats établies avec l'aval de ses dirigeants. Par ailleurs, le président Bagaza dispose de pouvoirs étendus. En fait, le régime dérive déjà vers une reconcentration des pouvoirs entre les mains du président et de ses proches du sud du pays.
Le durcissement du régime est manifeste à partir de 1982, avec un accroissement des pouvoirs présidentiels et la restriction des libertés. La classe politique s'enfonce dans l'affairisme et les divisions à caractère régional, clanique ou ethnique. L'autoritarisme met à mal la liberté d'expression, tandis qu'il aggrave les méfiances entre les différentes catégories de la population. Le durcissement est flagrant : les années 1980 sont l'époque de la Sûreté toute puissante et de ses " sûretards ".
Par ailleurs, une grave crise intervient entre l'Etat et l'Eglise. Dans un pays où les deux-tiers environ des habitants sont de fervents chrétiens, l'Eglise constitue une puissance concurrente, que le pouvoir entend désarmer. Plusieurs mesures restreignent la liberté de culte à partir de 1979 : les réunions des communautés de base appelées sahwanya sont limitées, les cérémonies sont interdites en semaine, le périodique chrétien Ndongozi est suspendu, les centres d'alphabétisation sont fermés, des prêtres sont incarcérés et des centaines de missionnaires étrangers sont expulsés... Sans en être la cause unique, cette montée des tensions autour de la pratique religieuse joue un rôle dans le renversement du président Bagaza en 1987.
Alors qu'il se trouve à Québec, Bagaza est renversé le 3 septembre 1987 par l'un de ses proches, le major Pierre Buyoya, dans un coup d'état sans effusion de sang. Buyoya est, comme ses prédécesseurs, un Tutsi hima originaire de la région de Bururi. Il préside le nouveau Comité militaire de salut national et renoue le dialogue avec l'Eglise en levant la plupart des mesures édictées par le régime précédent. La normalisation des activités de la Sûreté ramène aussi une certaine liberté. Par ailleurs, Buyoya tente de lutter contre la corruption, et il renoue avec les états voisins et les organismes internationaux que le régime bagaziste avait éloignés. De graves troubles dans le nord du pays le conduisent à accélérer le rythme des réformes.
Les massacres de Ntega et Marangara. Les tueries perpétrées en 1988 constituent la troisième épreuve majeure vécue par les Burundais depuis leur indépendance. Le 14 août, des Hutu se soulèvent dans le nord du pays (communes de Ntega et Marangara, frontalières du Rwanda), massacrant des centaines de Tutsi. L'armée se livre à une répression aveugle, tuant entre 5 000 et 20 000 Hutu selon les sources. 45 000 Hutu se réfugient au Rwanda voisin.
Le Président entreprend alors des réformes. Il nomme un gouvernement ethniquement mixte à la tête duquel il place un Premier ministre hutu, Adrien Sibomana, et incorpore un plus grand nombre de cadres hutu dans l'administration publique. Il favorise le recrutement de hutu parmi les soldats du rang, et en fait accepter dans les écoles d'officiers. Par ailleurs, il entame un rapatriement des réfugiés (de 1972 et de 1988). Surtout, il rompt avec le tabou pesant sur la question ethnique et lance sa politique " d'unité ".
La politique d'unité. Partout en Afrique et dans le monde, un vent de démocratisation souffle au début des années 1990. La situation au Burundi s'inscrit dans cette évolution globale.
La politique de Buyoya est marquée par un début de dialogue au sein de la population et par la mise en place de textes encadrant une vie politique et sociale plus libérale. La Charte de l'unité nationale est adoptée par un référendum le 5 février 1991 puis, en mars 1992, une nouvelle constitution qui instaure le multipartisme et garantit les libertés. Plusieurs conventions internationales garantissant les droits sont signées, et des associations de défense des droits de l'homme sont autorisées (comme la toujours très active ligue Iteka).
Par ailleurs, des partis politiques constitués dans l'ombre depuis des années sont agréés, comme le Sahwanya-Frodebu (Front pour la démocratie au Burundi), et d'autres sont créés. Le vieux parti Uprona est réformé. En revanche, en vertu de l'interdiction des partis communautaristes, le Palipehutu (Parti pour la libération du peuple hutu), lancé clandestinement dans les années 1970, reste interdit alors qu'il est toujours en activité (ses combattants lancent de spectaculaires attaques sur Cibitoke et la capitale en 1991).
1993 : des espoirs à la guerre. Au mois de juin 1993, des élections au suffrage universel sont organisées, législatives d'abord puis présidentielles. Le Frodebu remporte la majorité absolue des sièges à l'Assemblée et enlève la présidence, qui revient à son leader, Melchior Ndadaye. Celui-ci, un Hutu, est investi le 10 juillet 1993. Il s'attache rapidement, avec un gouvernement dans lequel il convie des membres de l'Uprona (dont le Premier ministre, Sylvie Kinigi), à mettre en oeuvre les réformes qu'il avait annoncées, notamment sur les propriétés foncières (liées à la question du retour des réfugiés de 1972).
Dans l'opposition, certains se plaignent de ces réformes. En outre, la politique du gususuruka (" se sentir réchauffé ") suscite des tensions : il s'agit d'un chambardement dans la fonction publique au cours duquel certains (du Frodebu, souvent hutu) sont promus alors que d'autres (de l'Uprona, souvent tutsi) sont congédiés. Des militaires craignent-ils d'être affectés à leur tour lorsque le Président annonce, en septembre 1993, le début de la réforme du recrutement de l'armée ? Toujours est-il que certains d'entre eux fomentent un coup d'état, qui échoue, mais déclenche aussi plus d'une décennie de guerre civile et de crise politique.
L'assassinat de Ndadaye et le début des massacres. Dans la nuit du 20 au 21 octobre 1993, des militaires attaquent le palais présidentiel et assassinent le président Ndadaye, tandis que des mutins arrêtent et exécutent d'autres hauts responsables. Un " Comité de salut public " est mis en place mais ne tient pas longtemps face aux protestations nationales et internationales. Bientôt, les membres du gouvernement légal reprennent la main et, le 28 octobre, Sylvie Kinigi annonce l'échec du coup d'état.
Mais à l'intérieur, c'est déjà trop tard : le pays est à feu et à sang. A cette date, on recense plus de 350 000 réfugiés dans les pays voisins, des dizaines de milliers de déplacés et de morts. Pendant des semaines, là où les militaires n'ont pas la main (ils exécutent dès les premiers jours plusieurs responsables du Frodebu), sont perpétrés des massacres de Tutsi. Dans certaines régions, on appelle ces tueries agahomerabunwa, c'est-à-dire " les indescriptibles ", " les innommables ". Le coeur du pays se trouve durablement affecté et personne ne sait vraiment ce qui s'y passe pendant des mois.
L'assassinat du président Ndadaye sonne le glas du processus démocratique au Burundi. Une grave crise politique s'ensuit, alors que les tueries se poursuivent et que des rébellions armées s'organisent. A partir de la fin 1993, et surtout en 1994-1995, Bujumbura est soumise à la loi de bandes organisées de jeunes Tutsi (les " Sans-échec " ou " Sans-défaite "), qui opèrent en milices pour le compte de partis extrémistes et font régner la terreur lors d'opérations " ville morte ".
Les violences. Après le coup d'état manqué, le Burundi est amputé d'une partie de ses hauts responsables, tués, exilés ou empêchés d'agir. La tenue de nouvelles élections est impossible, aussi les partis politiques choisissent en janvier 1994 un président par intérim, Cyprien Ntaryamira. Mais ce dernier meurt dans l'attentat contre l'avion du président rwandais Habyarimana, le 6 avril 1994, qui marque au Rwanda le début du génocide des Tutsi et du massacre des Hutu modérés, qui ne sont pas sans répercussions au Burundi.
A Bujumbura, des épurations ethniques ont lieu, les milices tutsi sont toutes-puissantes aux côtés de l'armée, et les Hutu s'organisent en groupes de défense. En 1994-1995, la ville connaît une reconfiguration majeure : les quartiers Nord, à majorité hutu, comme Kamenge, sont dévastés, et les Tutsi qui fuient l'intérieur du pays affluent vers la capitale.
La violence se déchaîne aussi sur les collines où les massacres continuent, tandis que l'armée combat des groupes armés comme le Palipehutu-FNL (le parti et son groupe armé, les Forces nationales de libération) ou le Frolina (Front de libération nationale). La fracture est si grande que certains extrémistes et quelques analystes préconisent sans sourciller la création de deux nouveaux pays à partir du Rwanda et du Burundi, un " Tutsiland " et un " Hutuland " !
La Convention de gouvernement. Sur le plan politique, la situation est chaotique. La nouvelle vacance du pouvoir pose des problèmes insolubles aux partis en négociation. Finalement, le 10 septembre 1994, est signée entre 12 partis de la mouvance présidentielle (derrière le Frodebu) et du collectif de l'opposition (derrière l'Uprona) une Convention de gouvernement, qui modifie la Constitution pour partager le pouvoir. Le Président de la République, désigné par consensus, est dépouillé de ses principales prérogatives. Il ne choisit pas son Premier ministre, qui contresigne ses décisions, ni son gouvernement, dont les membres proviennent des divers partis politiques. Le 30 septembre 1994, Sylvestre Ntibantunganya (Frodebu) est désigné à ce poste.
Mais la situation ne s'arrange pas : la vie à Bujumbura est ponctuée par des assassinats et des fusillades, tandis que dans l'intérieur du pays la situation se détériore. Léonard Nyangoma, membre influent du Frodebu et ancien ministre de l'Intérieur de Ndadaye, qui a condamné la Convention, fonde le Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD), qui se dote bientôt d'un groupe armé actif, les Forces de défense de la démocratie (FDD). En 1995, la plupart des organisations d'aide humanitaire se retirent du pays en raison de l'insécurité.
Un coup d'état, le 25 juillet 1996, renverse le président Ntibantunganya et porte au pouvoir, pour la seconde fois, Pierre Buyoya. Celui-ci le justifie par l'incurie du gouvernement de la Convention et par la nécessité de rétablir l'ordre et la sécurité dans le pays.
La reprise en main et l'embargo. La reprise en main de Buyoya passe par des actes légaux, judiciaires et militaires. La Constitution de 1992 suspendue, un décret-loi organise un système de transition qui restreint l'activité des partis, reconfigure l'Assemblée nationale et constitue divers conseils nationaux. Sur le plan judiciaire, plusieurs procès ont lieu en 1997, en lien avec les événements de 1993 : des militaires sont condamnés pour leur participation au coup d'état contre Ndadaye et des civils pour les massacres qui l'ont suivi. Au plan militaire, enfin, un service obligatoire est mis en place pour les étudiants, des regroupements forcés de la population commencent et des opérations sont menées contre les rébellions.
Cette politique est condamnée par les organisations internationales de défense des droits de l'homme et, surtout, par les pays voisins qui décrètent un embargo rendant encore plus difficiles les conditions de vie de la population. Le pays s'enfonce dans la pauvreté alors que des fortunes se construisent en ville par la contrebande. Les camps de regroupement, qui accueillent plus de 800 000 personnes en 1998-1999, deviennent des symboles de la dévastation de la guerre, alors que l'armée, appuyée par les Gardiens de la paix, des sortes de milices supplétives, continue à trouver des adversaires redoutables dans les mouvements de rébellion qui s'étendent dans le pays. Ces mouvements se divisent et se multiplient : en 2000, on en compte 7 en activité sur le territoire.
Les négociations et l'Accord d'Arusha. En juin 1998, une nouvelle Constitution est promulguée, au moment où commencent en Tanzanie les premières négociations entre le gouvernement de Buyoya, les partis politiques et les mouvements rebelles, sous la houlette du président Julius Nyerere (remplacé à son décès par le Sud-Africain Nelson Mandela). La levée de l'embargo est décidée en janvier 1999. Menés pas à pas, les pourparlers aboutissent, le 28 août 2000, à la signature de l'Accord pour la paix et la réconciliation au Burundi, à Arusha (Tanzanie). La plupart des rébellions le signent, à l'exception notable du CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza, le plus puissant de tous, et des FNL (Palipehutu).
L'Accord d'Arusha prévoyait la cessation des hostilités avec les mouvements signataires, la démobilisation des combattants et la mise en place d'un gouvernement de transition pour trois ans, en alternance politique et ethnique. Ce dernier est formé le 1er novembre 2001. Il est d'abord présidé par Pierre Buyoya (Tutsi, Uprona), avec pour vice-président Domitien Ndayizeye (Hutu, Frodebu). Puis en mai 2003, ce dernier devient à son tour président, avec pour vice-président Alphonse Kadege (Tutsi, Uprona, remplacé par Frédéric Ngenzebuhoro en novembre 2004).
Malgré des divergences et des crises répétées, la solution d'Arusha est respectée par la plupart des parties et des moyens sont mis en place pour l'appliquer. Ainsi, dès octobre 2001, l'Afrique du Sud protège sur place les personnalités politiques rentrant d'exil et participant aux institutions transitionnelles. Un peu plus tard, en avril 2002, une force africaine d'intervention se déploie, montée par l'Union africaine (Amib) et menée par l'Afrique du Sud. Elle sera remplacée en 2004 par une force onusienne, l'Onub (Opération des Nations unies au Burundi), composée de plus de 5 000 hommes et d'observateurs civils et militaires (son mandat s'est achevé fin 2006).
La mise en oeuvre de l'accord d'Arusha est rendue difficile car d'intenses combats se poursuivent entre 2000 et 2003 entre l'armée burundaise et les dernières rébellions non-signataires. Le CNDD-FDD est la plus grande de ces rébellions, et la mieux organisée. Des négociations séparées s'engagent avec ses représentants en 2002 et débouchent, fin 2003, sur la signature à Pretoria de deux protocoles sur le partage du pouvoir politique et les modalités d'une réforme des forces de défense et de sécurité (police et armée).
Dès lors, la situation sécuritaire dans le pays s'améliore. Des membres du CNDD-FDD entrent dans le gouvernement de transition (dont son leader, Pierre Nkurunziza) et 20 000 soldats du mouvement sont regroupés pour être démobilisés ou intégrés dans la nouvelle Force de défense nationale (FDN). Dans le même temps, malgré la pression exercée sur les régions proches de Bujumbura par les FNL d'Agathon Rwasa, qui refuse toute discussion avec le gouvernement transitionnel, des tractations commencent pour organiser la tenue d'élections démocratiques.
Malgré des surenchères politiques et les menaces armées des FNL, la période de transition s'achève en 2005 avec des consultations électorales organisées avec l'aide de l'Onub. Le 28 février est adoptée par référendum la nouvelle Constitution du pays. En juin sont élus au suffrage universel direct les conseillers communaux ; en juillet, les députés ; en septembre des conseillers de colline. Tous ces scrutins sont remportés à une large majorité par le CNDD-FDD, constitué en parti politique depuis la fin 2004. Au milieu du processus, en juillet, un scrutin indirect désigne les sénateurs qui, réunis en collège électoral avec les députés en août, élisent Pierre Nkurunziza, le leader du CNDD-FDD (seul candidat, les autres s'étant retirés devant sa victoire certaine). Il est plébiscité (151 voix sur 162) et investi dans ses fonctions le 26 août 2005.
A son arrivée au pouvoir, Pierre Nkurunziza est confronté à des défis sociaux et politiques immenses. Il doit par ailleurs faire face à la rébellion des FNL, qui refusent de reconnaître le nouveau pouvoir, fût-il hutu.
Dès son investiture, Nkurunziza a annoncé deux mesures qui ont indéniablement popularisé son pouvoir : d'une part, la gratuité de l'enseignement primaire, et d'autre part, la même gratuité pour l'accès aux soins des femmes enceintes et de leurs nouveau-nés. Avec l'aide des bailleurs de fonds internationaux, ou dans le cadre des " travaux communautaires " instaurés en 2006, des centaines d'écoles ont été construites dans le pays, ainsi que de nouveaux dispensaires et centres de santé. Mais aujourd'hui les difficultés restent grandes, les moyens financiers et le personnel qualifié pour occuper les postes dans ces deux secteurs de l'éducation et de la santé n'étant pas toujours suffisants.
D'autres projets financés par les aides extérieures ont aussi permis depuis 2005 la réfection ou la construction de routes goudronnées, la remise en état d'infrastructures détruites pendant la guerre, et le rapatriement de dizaines de milliers de réfugiés, surtout en provenance de Tanzanie.
Mais la politique volontariste du nouveau pouvoir CNDD-FDD n'a pas eu que des facettes vertueuses. Ainsi, durant le premier mandat 2005-2010, plusieurs " affaires " ont secoué la scène politico-médiatique, mettant au jour des réseaux affairistes et corrompus liés au pouvoir (scandale de la vente du Falcon présidentiel, des mandataires pour la vente du sucre, etc.). Des fleurons de l'industrie burundaise ont aussi périclité dans des conditions et à une vitesse pour le moins étonnantes (Cotebu par exemple). Surtout, le régime a montré des penchants autoritaires dans la gestion de ses relations avec les opposants.
L'évolution politique a été tributaire de la situation sécuritaire, restée délicate jusqu'en 2009. En effet, malgré la signature d'un cessez-le-feu en septembre 2006, la rébellion du FNL a poursuivi la guerre aux portes de Bujumbura encore plusieurs années après l'élection de 2005 et n'a déposé les armes qu'en avril 2009, après d'âpres négociations.
Ces difficultés d'ordre militaire ont plus d'une fois justifié sur le plan politique des atteintes aux droits et aux libertés, qui n'ont pourtant pas cessé lorsque le FNL s'est transformé en parti politique. Ainsi, ces dernières années des dizaines d'hommes et de femmes politiques (y compris dans le parti au pouvoir lui-même), de journalistes, de militants associatifs ou de défenseurs des droits de l'homme ont été interrogés, arrêtés ou contraints à l'exil, et des meurtres non élucidés ont profondément choqué l'opinion, dont celui du militant anti-corruption Ernest Manirumva. Des représentants étrangers ont aussi été expulsés, notamment de hauts responsables de l'ONU. C'est donc dans un cadre politique dégradé et tendu qu'ont été préparées les échéances électorales de 2010 et que se préparent aujourd'hui encore celles de 2015.
Les scrutins de l'année 2010 se sont soldés par une victoire conséquente du CNDD-FDD. Les élections communales organisées au mois de mai ont marqué la première étape de ce marathon électoral, mais leur résultat a profondément divisé le pays. En effet, alors que les observateurs nationaux et internationaux ont acté leur bon déroulement et leurs résultats (en moyenne nationale, 64 % des voix en faveur du parti au pouvoir), les principaux partis d'opposition réunis en coalition (Alliance des démocrates pour le changement, ADC-Ikibiri) ont dénoncé des fraudes massives et se sont retirés des courses électorales présidentielle, législatives et sénatoriales. En conséquence, les chambres parlementaires élues en juillet sont devenues pratiquement monocolores, et le Président sortant, seul candidat (les autres ayant renoncé), a été réélu avec 91,62 % des voix (participation de 77 % des inscrits).
La grande question depuis cette nouvelle mise à jour électorale du panorama politique burundais est celle de la place de l'opposition dans le pays, puisque depuis 2010, les dirigeants de plusieurs partis sont en exil ou entrés dans la clandestinité, et qu'aucun n'est représenté à l'assemblée (seule l'Uprona, ancien parti unique, a quelques députés). De plus, l'hégémonie du CNDD-FDD est dénoncée comme l'installation d'un nouveau monopartisme de fait. Des violences ont touché des militants de l'opposition ou parfois du pouvoir, impliquant des forces publiques ou des jeunesses politisées, et la crainte de la reprise d'un conflit armé n'est jamais complètement absente des scénarios envisagés par les analystes, même si le gouvernement préfère souvent parler de " banditisme armé ".
A l'approche des élections de 2015, le parti au pouvoir a tenté de faire réviser la Constitution afin de permettre à Pierre Nkurunziza de faire sauter le verrou constitutionnel des deux mandats. Ce projet a été rejeté par l'Assemblée nationale mais on parle pourtant d'une possible candidature du président actuel. En effet, ayant été élu en 2005 par le Parlement et non au suffrage universel, il n'en est, selon ses soutiens, qu'à son premier mandat. Les opposants, eux, considèrent cela comme un " passage en force ". L'histoire nous dira, mais ce qui est sûr au moment de la rédaction de ce guide, c'est que les conditions ne semblent pas réunies pour que les élections de 2015 se déroulent sereinement.
Entdeckung des Landes
- Les plus du Burundi
- Le Burundi en 30 mots-clés
- Survol du Burundi
- Cuisine locale
- Les personnalités célèbres : Burundi
Praktische Infos
- Argent
- Bagages
- Décalage horaire
- Électricité, poids et mesures
- Formalités, visa et douanes
- Horaires d'ouverture
- Internet
- Jours fériés
- Langues parlées
- Poste
- Quand partir ?
- Santé
- Sécurité et accessibilité
- Téléphone
Geschichte & Kultur
Andere
- Kaze i Burundi !
- Fiche technique
- Idées de séjour
- Comment partir ?
- Histoire
- Mode de vie
- Lexique
- Assurances
- S'informer
- Rester
Galerie Fotos